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LA NATURE.

Les deux espèces dont nous venons de décrire rapidement les mœurs ne sont que des poissons d’ornement, et il est fâcheux que l’attention n’ait pas été appelée sur l’introduction en France d’espèces qui entrent, pour une large part, dans l’alimentation des habitants du Céleste-Empire ; nous voulons parler de quatre espèces que MM. Dabry de Thiersant et Blecker ont dernièrement signalées. Ces espèces appartiennent à la famille des cyprins. Le dessin ci-contre en représente deux, connus dans la science sous les noms d’Hypophthalmichthys molitrix et de Leuciscus idellus ; les deux autres espèces font partie des mêmes genres. La chair de ces poissons est excellente et très-appréciée des Chinois, qui en font une grande consommation. Ils peuvent peser jusqu’à 40 et 50 livres quand ils sont adultes ; on les élève à l’état domestique dans des viviers. Nous empruntons à l’intéressant ouvrage de M. Dabry de Thiersant, sur la pisciculture et la pêche en Chine, les détails suivants sur la manière dont les Chinois élèvent les poissons, qui sont pour eux d’une si grande ressource alimentaire : « Le vivier doit être établi autant que possible près d’une éminence et non loin d’un cours d’eau avec lequel on puisse le faire communiquer … L’été, on donnera à manger aux poissons une ou deux fois par jour ; l’hiver, tous les deux jours. La nourriture varie un peu suivant les provinces. Ainsi, dans le Hun-nan, pendant deux mois et demi, les habitants se servent de préférence de l’eau de fumier. Les autres mois de l’année, ils remplacent cette eau par des herbes aquatiques hachées menu. Il n’en est pas de même dans le Kiang-si, où l’élevage des poissons a été poussé plus loin que partout ailleurs. Les procédés en usage dans cette province ont été recommandés comme les meilleurs dans le Cheou-che-tong-kao, vaste encyclopédie que l’empereur Kien-long fit publier dans le but de propager ce que la science avait produit jusqu’alors de plus parfait, et de plus pratique sur l’agriculture et l’horticulture. Voici, en quelques mots, la méthode préconisée par le gouvernement et qui fournit, en réalité, les résultats les plus avantageux … Chaque bassin est destiné à recevoir 600 yong-yu (Hypophthalmichthys), et 200 houênu-yu (Leuciscus), d’un pouce et demi environ de longueur. La nourriture journalière de ces alevins consiste en herbes aquatiques hachées menu et en coquilles d’œufs durcis dans le sel, dont les poissons sont très-friands, surtout pendant l’hiver. Vers le milieu de la cinquième lune, en juin, on retire du bassin tous les poissons, que l’on dépose sur une toile. On examine si quelque poisson étranger ne s’est pas glissé parmi les espèces domestiques, et, le triage opéré, on transporte ces derniers dans un vivier que l’on a eu soin de creuser non loin du bassin … À la deuxième et à la troisième lune (mars ou avril), on prend tous ces poissons et on les met dans un autre grand vivier, que nous nommerons vivier d’élevage … Il faut, aux poissons transportés chaque année du vivier moyen, deux charges d’herbes aquatiques environ, pour cent jours. Ils grossissent alors très-rapidement, et ceux qui, à leur arrivée, pesaient une livre, après douze mois atteignent facilement trois livres ou trois livres et demie … Il n’est pas nécessaire que les herbes qui sont données aux poissons des grands viviers soient toujours fraîches ; de vieilles herbes avec la racine remplissent le même but. Il est rare que celles que l’on jette le soir dans le vivier ne soient pas dévorées entièrement pendant la nuit. L’hiver, la nourriture des poissons est plus difficile à se procurer. On supplée aux herbes par des boules très-sèches, grosses comme le poing, faites avec de la terre grasse, que l’on mélange à des fragments de vieilles nattes en paille de riz, à moitié pourries, et que l’on coupe en morceaux plus ou moins menus, suivant que les boules sont destinées aux moyens ou aux grands viviers, au milieu desquels elles sont jetées tous les deux ou trois jours … Toute famille à la campagne a son vivier, qui, chaque année, est alimenté au moyen d’alevins qu’on y dépose au printemps. Dans l’espace de douze mois, les espèces domestiques atteignent facilement deux livres et deux livres et demie ; on peut les pêcher après sept mois. La plus grande partie du poisson des viviers est consommée par les habitants de la ferme, à moins que la pièce d’eau ne soit telle qu’ils puissent multiplier aisément sans craindre le dessèchement auquel sont exposés les petits réservoirs. Dans ce cas, comme ces espèces domestiques se reproduisent et se développent très-rapidement, le vivier devient pour son propriétaire une mine inépuisable d’alimentation et de revenus.

Il serait vraiment à désirer que l’on pût tenter d’acclimater en France ces espèces comestibles, aujourd’hui surtout que l’on doit redouter l’épuisement de nos rivières ; c’est une difficulté, sur la solution de laquelle nous appelons toute l’attention de la Société d’acclimatation.

E. S.

EXPÉDITIONS SCIENTIFIQUES DE KHIVA
L’AMOU-DARIA ET LA MER D’ARAL.

Le fait de l’occupation par les troupes russes des régions du Turkestan, jusqu’ici fermées aux voyageurs, offre une importance considérable au point de vue de la géographie et de la physique du globe. Le gouvernement du czar se préoccupe des questions scientifiques, que sa récente conquête lui permet d’étudier, et plusieurs expéditions scientifiques se sont déjà organisées sous ses auspices, pour explorer des pays à peine connus, et pour éliminer les inconnues de grands problèmes de géographie physique. Quelques savants émérites, MM. Bogdanow, Krause, Korolikow, Kuhn, ont eu pour mission de parcourir le khanat de Khiva dans toute son étendue, pour se livrer à des études ethnographiques et géographiques, accompagnés d’un habile photographe, M. Kriwhow, qui complétera les documents écrits par une série de