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LA NATURE.

voyait venir un trop grand nombre dans la plantation, et pour les préserver, dans certains pays, des fourmis, guêpes, etc. qui ne peuvent plus leur nuire sérieusement quand ces vers ont acquis une certaine grosseur. Dans de petits essais, faits dans un jardin en ville, près d’une ferme ou d’un bois, ces attaques peuvent nuire gravement à une éducation d’expérience et la détruire, comme elles détruisent d’autres cultures placées dans les mêmes conditions ; mais dans une éducation faite en rase campagne et sur une assez grande échelle, comme celle de M. le comte de Lamotte-Baracé, dans Indre-et-Loire, le déchet produit par les attaques des ennemis est le même que celui qu’ils font subir à nos autres cultures ; c’est la dîme que nous payons et que nous payerons toujours aux parasites, ce qui n’empêche pas nos céréales, nos vignes, etc. de nous donner des produits dont nous nous contentons depuis des siècles. Du reste, plus les éducations de ce ver à soie s’étendront, et plus cette part due aux parasites sera proportionnellement minime.

Environ un mois après la pose de ces vers sur les ailantes, si la saison est favorable, ils font leurs cocons contre une feuille ou au bout d’un rameau, en prenant soin de fixer solidement la feuille et le cocon à la tige au moyen d’un véritable ruban de soie, et il ne s’agit plus que de détacher ces cocons cinq ou six jours après leur formation, pour faire la récolte.


LES NUAGES ARTIFICIELS

Les idées les plus simples sont bien souvent celles qui paraissent les plus difficiles à trouver. Ne semble-t-il pas assez pratique de garantir certaines cultures des gelées printanières, en les couvrant d’un manteau protecteur, formé d’un nuage de fumée ? Il n’y a que bien peu de temps cependant que des essais nombreux ont été entrepris en France ; ils se multiplient, il est vrai, de jour en jour, et leur efficacité réelle permet de supposer qu’ils se généraliseront encore. Un propriétaire de la Gironde, M. Fiabre de Rieunègre, donne de curieux renseignements pratiques sur cette méthode singulière, en racontant le magnifique succès qu’il a obtenu au commencement de cette année :

« Les nuages artificiels, dit cet agriculteur, ne sont pas une nouveauté ; il y a un très-grand nombre d’années que plusieurs viticulteurs de nos pays les ont essayés ; je connais des essais qui datent de quatre-vingts ans. Il est certains pays, le Chili par exemple, où ils sont entrés dans la pratique de tous les jours ; il y a là, sur les derniers contre-forts des Cordillères, d’importants vignobles ; ils étaient autrefois presque toujours ravagés par des vents glacés qui descendent des montagnes et que l’on est parvenu à défendre avec succès contre des froids de cinq et même de six degrés au-dessous de zéro. »

Pour obtenir les nuages artificiels, M. Fiabre de Rieunègre préconise l’emploi de la combustion de la balle de froment.

« Les feux obtenus avec les huiles lourdes ne remplissent pas, ce me semble, dit notre expérimentateur, les deux conditions de bon marché et de durée. Je n’entre pas dans des détails inutiles, mais j’affirme par expérience, que si l’on veut les conserver allumés pendant tout le temps qui est nécessaire, ils deviennent très-onéreux, surtout si l’on tient compte de l’achat des godets qui quelquefois ne serviront pas deux fois dans dix années et dont le prix devra, par conséquent, être en totalité porté au compte de l’opération elle-même.

Avec la vieille méthode améliorée, j’ai trouvé le moyen de faire, au commencement de cette année, un feu d’une grande durée et ne coûtant presque rien. J’ai employé de la balle de froment, qui est la substance qui m’a paru le mieux remplir les conditions exigées ; elle brûle très-lentement et produit beaucoup de fumée. On peut cependant la remplacer avec des litières, des mousses, de la sciure de bois et même du mauvais foin. J’en ai fait faire de gros tas de 2m,50 de diamètre placés à 12 mètres environ l’un de l’autre ; trois feux ainsi établis suffisent pour couvrir un hectare.

Cela fait, on attendit les événements. Les gelées du 25, du 26 et du 27 avril arrivèrent. Lorsque le thermomètre descendait à un degré au-dessus de zéro, la cloche du château se faisait entendre pour éveiller et rassembler non-seulement mes domestiques, mais tous nos voisins, surtout ceux du Nord, que mes sollicitations et mon exemple avaient entraînés et qui agissaient avec le même entrain et la même confiance que moi-même. À ce signal, toute la population était sur pied.

Dès que le thermomètre marquait zéro, à un nouveau signal, le feu était mis aux litières, aux balles de froment, à tout ce que l’on avait pu se procurer, et plus de trois cents foyers énormes, non pas de feu mais de fumée, car nulle part la flamme ne trahissait la présence du feu, couvraient en un instant la plaine d’un épais nuage, sur une étendue de 150 hectares environ. La fumée montait immédiatement vers le ciel, mais saisie par le froid de l’atmosphère, elle descendait presque aussitôt dans les vignes, rasant la terre et couvrant les plantes d’un manteau protecteur. Les feux étaient entretenus jusqu’au moment où le thermomètre remontait au-dessus de zéro. C’est ainsi que furent facilement vaincus les froids du 25 et du 26 avril, mais la terrible et désastreuse nuit du 27 nous réservait des difficultés nouvelles, contre lesquelles, heureusement, nous avions pris nos précautions. Vers quatre heures du matin, le vent, qui n’avait cessé de souffler du nord-ouest, passa subitement au nord-est, amenant avec lui un froid glacial et entraînant les nuages artificiels que nous avions si péniblement accumulés.

Immédiatement, à un signal donné, les feux préparés dans une autre direction étaient allumés, l’atmosphère redevenue sereine était de nouveau voilée et