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LA NATURE.

serait trop long de citer. L’un des derniers, M. Usèbe, dont la plantation ne date que de 1866 et a été faite sur une superficie de trois hectares, dans un terrain de sable siliceux, très-léger, où le chêne lui-même restait à l’état buissonneux, — près du château de Milly (Seine-et-Oise), — est arrivé à ce résultat que chaque hectare lui produit près de 300 francs net sur un sol sans valeur, tandis que les meilleures terres de blé ne rendent guère plus de 150 à 200 francs.

On voit par ces résultats l’importance capitale du ver à soie de l’ailante, et par suite l’immense intérêt qui s’attache aux travaux de M. Guérin-Méneville. Malheureusement les obstacles qu’il faut surmonter pour vaincre la routine, terrasser l’indifférence, sont indescriptibles ; mais le premier pas est fait aujourd’hui, et nous souhaitons que notre compatriote poursuive sa route sur un sol aplani, où le succès couronnera son œuvre.

Nous croyons intéressant de compléter les documents qui précèdent en donnant quelques détails sur l’élevage du ver à soie de l’ailante.

Ce ver à soie peut donner jusqu’à trois récoltes par an dans les pays chauds ; mais dans le centre de la France, il n’en donne que deux, et une seule dans le nord. Les deux récoltes correspondent aux deux mouvements de la sève : la première se fait de mai en juin, la seconde, d’août en septembre. Si l’on n’en fait qu’une, elle peut commencer fin juin et se terminer fin août. Dans les régions où les deux récoltes sont possibles, ce sont tous les cocons de la seconde récolte et une portion seulement de ceux de la première qui passent le reste de l’automne et l’hiver, sans donner leurs papillons. Dans les régions plus froides où l’on ne peut faire qu’une récolte, presque tous les cocons se conservent sans éclore jusqu’au printemps suivant. Ces cocons, destinés à la reproduction, doivent être réunis en chapelets de 50 à 100, au moyen d’un fil que l’on passe avec une aiguille, en perçant seulement leur épiderme vers le milieu et en ayant grand soin de ne pas faire pénétrer l’aiguille dans leur intérieur, ce qui tuerait les chrysalides. Ces chapelets sont conservés et suspendus dans une pièce sans feu, si l’on ne veut avoir qu’une seule récolte[1].

Vers la fin de mai, les papillons sortent de ces cocons de grand matin et y restent accrochés tout le jour, pour développer leurs ailes.

Vers le soir, on prend indistinctement les mâles et les femelles et on les enferme dans une cage à parois de grosse toile transparente, dans une sorte de garde manger, ou même dans un panier. Les accouplements ont lieu pendant la nuit, et, le lendemain matin, on prend tous les couples, sans les désunir, et on les met avec précaution dans une boîte (de ponte) couverte avec une toile transparente ou avec une gaze grossière. Dans la journée, les mâles quittent leurs femelles, qui se mettent à pondre contre les parois de la boîte : on retire ces mâles, que l’on remet dans la boîte aux mariages et on laisse les femelles tranquilles.

Chaque soir on met les papillons éclos le matin dans la boîte aux mariages, et chaque matin on en retire les couples pour les placer dans les boîtes de ponte. Chaque jour toutes les femelles mises la veille dans une boite de ponte seront placées dans une autre boîte, et l’on recueillera les œufs qu’elles auront donnés dans la nuit. Ces œufs sont facilement détachés avec l’ongle ou avec un couteau de bois ; on les met dans de petites boîtes en inscrivant la date de leur ponte.

Les boîtes, laissées découvertes, sont placées dans une chambre chauffée à 22 ou 25 degrés centésimaux dans laquelle on entretient constamment de la vapeur d’eau et que l’on arrose fréquemment pour que la chaleur soit assez humide, et l’éclosion des œufs a lieu dix ou douze jours après, et de grand matin.

Dès que les vers paraissent, on place sur la boîte des folioles d’ailantes et ils y montent immédiatement pour commencer à ronger leurs bords.

Vers la fin de la journée, ces parties de feuilles, chargées de tous les vers éclos, sont enlevées délicatement pour ne pas écraser les jeunes chenilles, et on les met sur des bouquets de feuilles entières dont la queue plonge dans des bouteilles pleines d’eau ou dans des baquets couverts d’une planche percée de trous pour recevoir la tige des feuilles.

Les jeunes vers sentant se flétrir les petites feuilles sur lesquelles ils se trouvent, les quittent bientôt pour monter sur celles qui sont conservées fraîches dans l’eau des bouteilles ou des baquets, et ils y peuvent demeurer deux ou trois jours sans autres soins.

Comme les jeunes vers descendent quelquefois le long des tiges et vont se noyer, il faut garnir le goulot des bouteilles d’un tampon de papier ou de linge. Il faut aussi placer quelques feuilles au pied des bouteilles, pour que les vers qui viendraient à tomber par accident puissent s’y réfugier, en attendant, qu’on les ait replacés sur des bouquets.

Les feuilles, trempant dans l’eau, ne tardent pas à être dévorées par les vers, et ceux-ci s’échapperaient de tous côtés et se disperseraient, si l’on négligeait de leur donner une autre nourriture. Pour cela il suffit de placer près de ces bouquets dévorés ou flétris, d’autres bouteilles garnies de feuilles fraîches, et les vers passent d’eux-mêmes sur ces nouvelles feuilles.

Si l’on fait une éducation importante, on peut poser les vers sur les baies d’ailantes au bout de deux ou trois jours ; mais il faut éviter de faire cette translation par un mauvais temps et au moment où les vers sont endormis pour la première mue.

À partir de ce moment, il n’y a plus à s’occuper de ces vers à soie que pour donner la chasse aux oiseaux, surtout aux mésanges et fauvettes, si l’on en

  1. Dans les pays où l’on veut avoir deux récoltes, il faut conserver les cocons dans une pièce chauffée, ce qui hâte l’éclosion des papillons, en les faisant apparaître au commencement de mai ou même un peu plus tôt.