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LA NATURE.

une certaine inquiétude, car nous ne pouvons oublier que cette foudre en miniature jaillit sous une masse de gaz inflammable de 2 000 mèt. cubes ! Mais l’idée que nous obtenons pour la première fois, dans de telles circonstances, une manifestation électrique aussi énergique, aussi extraordinaire, apporte une compensation à nos craintes. Le baromètre, malgré le lest que nous jetons par dessus bord, indique que la descente est toujours rapide ; à 1 000 mètres nous entrevoyons la terre ; le nuage de glace avait, par conséquent, une épaisseur de 200 mètres environ. Il nous a semblé que les petits cristaux de glace dont il était formé existaient surtout au centre, et qu’ils étaient cachés en haut et en bas sous une couche de vapeur d’eau. Ce nuage, vu à quelques centaines de mètres plus bas, avait à peu près l’apparence d’un cumulus ordinaire.

Carte du voyage du ballon le Jean Bart, le 4 octobre 1873.

Mais nous n’avons pas le loisir de le contempler longtemps, car la brusque variation de température a singulièrement contracté notre gaz : le ballon a dû se charger, en outre, d’un poids considérable de glaçons ; il se précipite vers la terre, que nous voyons approcher avec une rapidité prodigieuse. Par malheur, le plateau de Montireau, où nous descendons malgré nous, est à 200 mètres au-dessus du niveau de la mer ; c’est en vain que nous lançons tout pleins les sacs de lest qui nous tombent sous la main ; la nacelle se heurte contre le sol avec un choc impitoyable. Un vent violent nous enlève ensuite et nous lance avec fureur au-dessus des arbres, jusqu’à ce que l’aérostat, éventré par la rafale, se dégonfle et nous laisse à terre …

S’il est vrai que les jours se suivent et ne se ressemblent pas, on peut affirmer qu’il en est bien de même pour les ascensions aérostatiques. Jamais nous n’avons opéré une descente, aussi tranquille, aussi douce, que le samedi 4 octobre, lors de notre dernier voyage aérien : notre nacelle, lentement ramenée à terre par un jeu de lest régulier, est pour ainsi tombée entre les bras des habitants de Crouy-sur-Ourcq, qui ont pu nous remorquer à l’état captif, jusqu’au milieu de leur ville. Les braves gens qui nous entourent mettent un empressement si louable à nous aider, ils nous accueillent d’une façon si obligeante, si hospitalière, qu’il est impossible de leur refuser le plaisir de s’asseoir sur les banquettes de la nacelle aérostatique : nous faisons monter à 200 mètres de hauteur, des aéronautes improvisés, enlevés par l’aérostat qui s’élève et descend, à l’état captif. Quels que soient le charme, l’imprévu, de ces épisodes, il nous faut ici les passer sous silence et arrêter l’élan de notre plume, qui, si nous n’y prenions garde, nous entraînerait loin du domaine de la science, jusque sur un terrain pittoresque, dont nous devons nous borner à effleurer la frontière.

Ombre du ballon projetée sur une prairie et entourée d’une auréole de diffraction.

La particularité la plus remarquable de cette ascension aérostatique est la route suivie par l’aérostat sous l’influence de deux courants aériens superposés. Au moment où nous nous sommes élevés de l’usine à gaz de la Villette, à midi trois minutes, le courant aérien inférieur nous a lancés dans la direction Est-Sud-Est, tandis que, vers l’altitude de 700 mètres, le courant supérieur Sud-Ouest nous a dirigés vers le Nord-Est. On nous a vus décrire dans l’espace une courbe très-prononcée, comme l’indique le tracé de notre voyage. Cette particularité se présente assez fréquemment au voyageur aérien. Il ne nous semble pas nécessaire d’insister sur l’importance considérable