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LA NATURE.

Le phylloxéra des racines était le seul qu’on eût encore observé en France, lorsque, vers le milieu du mois de juillet 1869, le phylloxéra des galles, connu dans son pays de prédilection, c’est-à-dire aux États-Unis, depuis 1854, et en Angleterre depuis 1863, fut découvert à Sorgues dans le Vaucluse, par M. Planchon, et à quatorze jours d’intervalle, dans le Bordelais, seule localité de France où il soit en abondance, par M. Laliman.

Tous les auteurs admettent aujourd’hui l’identité des deux types radicicole et gallicole, de même que celle du phylloxéra européen et du phylloxéra américain. Cette unité spécifique, d’abord établie par la simple comparaison des formes, a été démontrée expérimentalement dans le courant de l’année 1870. M. Signoret ayant mis sur une vigne saine, cultivée en pot, des galles phylloxériennes provenant des plantations bordelaises de M. Laliman, a vu les individus, issus de ces galles, se répandre sur les feuilles et y produire des galles nouvelles, et les jeunes, auxquelles ces dernières donnèrent naissance, se diriger vers les racines, s’y installer et y prendre enfin les caractères du type radicicole. Des expériences analogues faites par M. Gervais et par M. Planchon, ont confirmé l’identité spécifique des deux formes du parasite.

Les galles produites par le phylloxéra, peuvent quelquefois être réunies au nombre de cent quarante à cent cinquante sur une même feuille. Elles se présentent sous l’apparence de verrues creuses, formant saillie à la face inférieure des feuilles, et toujours ouvertes du côté supérieur (fig. 4) ; leur surface est irrégulière, rugueuse et mamelonnée, d’aspérités mousses entremêlées de poils hyalins ; l’orifice est aussi garni de poils : caractères qui établissent une distinction très-nette entre ces excroissances et d’autres, offertes aussi par les feuilles de vigne, mais dues à la piqûre de cynips ou de certains acarus.

Les bourses verruqueuses que nous venons de décrire, abritent, pendant l’été, des familles entières de phylloxéras aptères, tout semblables aux habitants des racines : mêmes femelles adultes, grosses, dodues et tuberculeuses ; mêmes jeunes, agiles et turbulents.

Le phylloxéra, qui montre encore ici sa préférence pour la sève jeune et abondante, ne commence son nid que sur les feuilles à peine étalées ; après en avoir percé le tendre tissu, il élargit la blessure par le mouvement rotatoire de ses pattes et de son corps. Mais, jamais en France, le parasite ne dessèche aucune des feuilles sur lesquelles il s’établit ; il n’en est pas tout à fait de même aux États-Unis, où le phylloxéra n’existe que sous la forme gallicole ; son règne y paraît toutefois assez débonnaire, car l’insecte y est plutôt étudié sous le rapport entomologique que sous le rapport agricole, et signalé plutôt comme espèce intéressante par ses caractères et par ses mœurs, que comme ennemi redoutable. Lorsque la vigne cesse de pousser, les jeunes pucerons ne trouvant plus de feuilles fraîches, commencent à émigrer pour aller chercher sur les racines un nouvel aliment, et rendent compte, par ce changement de résidence, de l’état de vacuité de la plupart des galles à l’approche de l’automne.

Dans le domaine de la Tourette, près de Bordeaux, où se cultivent en grand les cépages américains, parmi lesquels figurent les variétés de vignes hantées de préférence par le phylloxéra des feuilles, diverses observations faites par M. Laliman, tendent à prouver que le phylloxéra ailé n’est pas, comme on serait pourtant tenté de le supposer, l’auteur des excroissances dont nous avons parlé. Des enveloppes de gaze, à mailles serrées, recouvrant de toutes parts les ceps sur lesquels les parasites des galles se développent d’ordinaire, n’empêchent pas les feuilles de ces ceps, ainsi protégées contre les femelles ailées, d’être envahies tôt ou tard. Jamais d’ailleurs, selon le même viticulteur, on ne trouve de coques d’œufs de phylloxéras ailés sur les feuilles ou dans les poches verruqueuses. Aussi, M. Laliman considère-t-il comme plus rationnel d’admettre que le phylloxéra des galles provient de la tribu souterraine.

Le nombre d’œufs que ces cavités recèlent peut s’élever jusqu’à deux cents, d’après M. Signoret, et même jusqu’à cinq cents, d’après M. Laliman. Il y a donc grand intérêt à détruire ces nids, d’ailleurs très-accessibles, avant qu’ils aient répandu leur funeste progéniture, ou que les vents d’automne, en chassant dans toutes les directions les feuilles encore occupées par les redoutables parasites, aient étendu le cercle de l’invasion au delà de ses limites premières, ou aient porté au loin le germe de la destruction de nouveaux vignobles.

E. Vignes.

La suite prochainement. —


LIEBIG

Justus, baron de Liebig, est mort à Munich, le 18 avril dernier ; c’était une des gloires de l’Allemagne. Il n’a jamais montré contre la France, à laquelle tant de glorieuses amitiés le rattachaient, cette haine violente qui anime quelques-uns des professeurs de Berlin, et sans craindre de blesser le patriotisme le plus ombrageux, nous ne devons pas hésiter à rappeler brièvement ses travaux qui ont puissamment contribué à fonder la chimie agricole.

Il était né à Darmstadt, en 1803 ; après avoir fait ses études dans cette ville, et montré, dès l’âge le plus tendre, son goût dominant pour la chimie, il entra, comme élève en pharmacie, dans une officine d’Heppenheim ; il n’y séjourna guère, et en 1819 il était déjà étudiant à l’université de Bonn. En 1822, pourvu malgré ses dix-neuf ans, du grade de docteur en médecine, il partit pour Paris, aux frais du grand duc de Hesse, et là, sous la direction de Gay-Lussac,