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LA NATURE.

était rapproché de 220 fois. Ce grossissement n’est pas le plus fort que l’on puisse donner, et j’ai souvent appliqué avec succès, dans des conditions exceptionnelles de transparence atmosphérique et de tranquillité, des grossissements de 260 et 300 fois. Mais l’oculaire normal est 220, et parfois même il faut se contenter de 150 ou 100, quand l’atmosphère n’est pas très‑pure. Pour les télescopes, ce grossissement proportionnel est un peu moins élevé.

D’après cette proportion, le télescope de Melbourne ayant un miroir de 1m,20 devrait pouvoir supporter un grossissement de 2 000 à 2 400 fois. Mais le système Cassegrain, comme nous l’avons dit, fait perdre beaucoup de lumière. Un tel oculaire ne donnerait que des images troubles et diffuses. Toutefois le grossissement maximum de 1 000 indiqué me paraît trop modeste, et si l’instrument fabriqué par M. Grubb est aussi parfait qu’on le dit, il me semble qu’on pourrait l’élever utilement au delà de 1 500. Notre grand télescope Foucault, établi à l’Observatoire de Marseille, et dont le miroir en verre argenté est de 0m,80, supporte facilement un grossissement de 1 000 fois, qui peut, dans certaines circonstances exceptionnelles, être porté à 1 500. Celui de lord Rosse, dont le miroir a 1m,85 de diamètre, avec une distance focale de 17 mètres, supporte un grossissement normal de 3 000 fois. On a même pu, dans certaines circonstances, l’élever jusqu’à 4 000, 5 000 et même 6 000, mais certainement en perdant beaucoup de netteté et sans rien gagner, excepté pour des cas très‑rares.

L’instrument de Melbourne n’a pas donné, du reste, les résultats qu’on attendait, après tout le tapage qu’on en a fait surtout. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que, estimé excellent, quand on l’essaya en 1868 en Irlande, il paraît inférieur depuis son installation en Australie, qui eut lieu à la fin de 1869. Peut-être les miroirs ont-ils un peu perdu de leur poli par la suite de l’opération singulière qu’on leur a fait subir : ils avaient reçu une couche de vernis à la gomme, destinée à protéger leur surface pendant la traversée. Pour les nettoyer, à leur arrivée, on les a plongés dans l’alcool méthylique, puis dépouillés dans l’eau. C’était là un traitement un peu rude.

L’un des premiers usages auxquels on appliqua ce télescope fut de le diriger sur la Lune, ce monde si voisin de nous et si différent, et de faire la photographie directe de cet astre. M. Ellery, astronome royal d’Australie, a annoncé, en 1872, à la Société royale de Londres que l’on a obtenu des photographies de la Lune « meilleures qu’aucune de celles dont il avait eu connaissance, dit le journal anglais Nature. Ces images de la Lune ont environ 3 pouces de diamètre, tandis que les précédentes épreuves photographiques du même astre n’avaient que trois quarts ou sept huitièmes de pouces de diamètre, bien qu’on en ait tiré ensuite des agrandissements d’environ 2 pieds. »

Cette allégation n’est pas tout à fait exacte. Aux États‑Unis, M. Rutherfurd a obtenu des photographies directes de la Lune de 4 pouces de diamètre, au moyen d’une lunette de 13 pouces anglais (0m,33) d’ouverture, achromatisée spécialement pour les rayons chimiques. L’exposition des clichés originaux a varié d’un quart de seconde, dans la pleine Lune, à deux secondes pour le premier ou le dernier quartier. Mais les photographies des États‑Unis n’empêchent pas celles d’Australie, et en relevant cette inexactitude, je ne voudrais pas paraître déprécier l’instrument de Melbourne, qui reste, sans contredit, un des plus beaux qui existent.

Déjà on l’a appliqué à l’observation des lointaines planètes, Uranus et Neptune, mais sans rien découvrir de nouveau. Les étoiles doubles, les nébuleuses ont fait l’objet d’études spéciales, et l’on a cru reconnaître entre autres dans la nébuleuse Hêta d’Argo des changements qui se seraient produits depuis qu’elle a été décrite, en 1834, par sir John Herschel ; mais ces changements ne sont pas certains, car de faibles déformations dans la courbure du miroir peuvent modifier l’aspect d’une nébuleuse. Depuis quatre ans, plus de 60,000 étoiles ont été observées à Melbourne, et le dernier rapport constate que, malgré quelques défauts, le grand télescope rendra d’éminents services à l’astronomie. On avait fondé d’immenses espérances sur cet instrument, et le docteur Robinson, l’un des promoteurs de cette entreprise scientifique, s’écriait en le voyant partir de Liverpool pour l’Australie : « Il est impossible de songer, sans être dominé par l’enthousiasme, au trésor des grandes découvertes qui attendent l’astronome fortuné dont le regard sondera les cieux à travers ce puissant appareil, presque le premier qui soit au monde ! » Belles paroles que l’on comprend bien, mais qui tout d’abord ont été singulièrement déçues, attendu que l’astronome de Melbourne auquel il fut confié en 1869 donna sa démission en 1870, par suite de difficultés administratives. Les hommes ne sont pas parfaits ! D’ailleurs il faut bien avouer ici qu’en général ce ne sont pas les instruments astronomiques qui font les découvertes, mais les astronomes.

Tel est le fameux télescope, qui désormais est installé sous le beau ciel d’Australie pour l’étude des univers lointains. Il est intéressant pour nous de lui comparer rapidement les plus grands instruments astronomiques qui existent sur cette planète, de voir à quel point en est actuellement l’optique, et quels progrès nous pouvons espérer faire encore pour nous rapprocher des grandeurs célestes.

Le plus grand des télescopes construits jusqu’à ce jour est celui qui a été élevé par le célèbre lord Rosse dans le parc de son château de Parsonstown en Irlande, et qui lui a fait découvrir les merveilleuses nébuleuses en spirales, ces amas de soleils si éloignés de la terre, que leur lumière emploie des millions d’années pour nous arriver. Le tube de ce télescope véritablement colossal a 55 pieds anglais (16m,76) de longueur, et pèse 6 604 kilogrammes. Par sa forme, il pourrait être comparé à la cheminée d’un navire à