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LA NATURE.

dure encore, mais, à cette époque, probablement par l’effet de l’abstinence prolongée, la taille de l’insecte apparaît très-réduite : de deux tiers à trois quarts de millimètre qu’elle présente chez les individus adultes et actifs, elle peut descendre à 27 centièmes de millimètre.

Au moment de rentrer dans la vie active, le phylloxéra, ainsi que l’a observé tout récemment M. Max. Cornu, se dépouille de son enveloppe brune, épaisse et coriace, pour se montrer revêtu d’une nouvelle peau tendre et délicate, de brillante couleur jaune et reproduisant dans leurs moindres détails les replis de la première. L’insecte, à son réveil, apparaît, pour ainsi dire, débarrassé de son par-dessus d’hiver et en véritable tenue de printemps.

La mue effectuée, le phylloxéra ne tarde pas à recouvrer son agilité, et de même que le jeune sorti de l’œuf, il se met à la recherche d’un gîte bien approvisionné. Il se nourrit avec avidité, grandit en très-peu de temps et devient bientôt apte à effectuer sa première ponte. Sa multiplication, qui ne doit se suspendre qu’au mois d’octobre, acquiert rapidement les proportions effrayantes de l’année précédente, et la vigne qui, aux premiers jours de printemps, alors que le parasite était dans son état de torpeur, avait commencé à donner des pousses assez vigoureuses pour faire renaître l’espoir du viticulteur, ne jouit pas longtemps de ce répit. Elle s’étiole de nouveau sous les attaques d’un ennemi, dont l’arrivée de la belle saison a réveillé l’ardeur destructive.

À l’époque des chaleurs, on aperçoit çà et là au milieu des amas d’œufs et de phylloxéras de tout âge quelques rares individus présentant sur leur corselet, mieux dessiné que chez les voisins, deux petites languettes triangulaires destinées à devenir des ailes. Ce sont de véritables nymphes qui ne tardent pas à se dégager de leur enveloppe qu’on trouve, en effet, souvent gisante à côté d’elles sous forme d’une gaine transparente, et à devenir des insectes parfaits possédant des ailes et des yeux bien caractérisés.

Ces femelles ailées (fig. 3, 1) représentent d’élégants moucherons dont les quatre ailes, incolores et diaphanes, sont horizontalement croisées dans le repos, contrairement à ce qui s’observe chez les pucerons ordinaires où elles sont plus ou moins inclinées en toit. La longueur des ailes supérieures est presque double de celle du corps ; les ailes de la seconde paire sont plus petites et plus étroites et à une seule nervure. Les antennes sont un peu moins trapues et un peu plus longues que chez les phylloxéras ordinaires. Les pattes, les tarses, le suçoir ne présentent pas de différences essentielles avec les mêmes organes des femelles aptères. Les yeux noirs et relativement très-gros, sont relevés en mamelon conique sur leur milieu, et présentent, à leur surface, non des facettes, mais des granulations assez accusées.

Si l’on comprime légèrement l’insecte ailé sur la lame du verre du microscope, on aperçoit par transparence deux ou trois œufs de couleur jaune occupant la cavité abdominale. Ces œufs, tout semblables à ceux que nous avons décrits, donnent naissance aux mêmes phylloxéras aptères.

Le nombre de ces femelles appelées à jouir d’une existence aérienne, n’est nullement en rapport avec les myriades de femelles aptères vouées à la vie souterraine. Peut-être ces pondeuses ailées sont-elles destinées à la dissémination de l’espèce nuisible à de grandes distances et à la fondation de nouveaux centres d’invasion. Mais le vent doit être le principal agent de cette dispersion, car le peu de rigidité des ailes exclut l’intervention d’un vol puissant et soutenu.

Fig. 4. — 1. Feuille de vigne couverte de galles, servant de nids aux Phylloxéras, vue par sa face inférieure. — 2. Galle coupée verticalement.

Les ailes à large surface du phylloxéra favorisent l’action disséminatrice du vent, au même titre que les aigrettes des graines des composées ou des valérianes. Les femelles aptères elles-mêmes sont soulevées et déplacées par le moindre souffle, et il n’est pas inadmissible qu’elles soient aptes aussi à subir le même mode de dispersion. Ce transport des phylloxéras par le vent, paraît du reste d’autant plus vraisemblable, qu’il trouve ses analogues dans des faits bien établis, tels que l’encombrement des rues de Gand, en 1834, par de véritables nuées de pucerons verts du pêcher, ou la chute observée, à Montpellier, d’une sorte de neige produite par les flocons cotonneux détachés du corps des pucerons issus des galles des feuilles du peuplier. Selon MM. Planchon et Lichteinstein, la direction générale de la marche du fléau, dans la vallée du Rhône, se prête assez à l’idée que le mistral n’est pas absolument étranger à son extension.