Page:La Nature, 1873.djvu/292

Cette page a été validée par deux contributeurs.
284
LA NATURE.

et il fut bientôt résolu. Rappelons d’abord que ces petits crustacés se trouvent en bien plus grand nombre dans les eaux peu salées que dans celles qui sont parvenues au degré maximum de concentration. Rappelons surtout que dans ces dernières leur présence est relativement très-rare et, en quelque sorte, accidentelle. Ceux qu’on y trouve sont languissants ; ils souffrent évidemment dans ces eaux trop denses où les sauniers les ont introduits avec les eaux moins concentrées, amenées par eux dans le bassin où le sel doit cristalliser. Ici, disons-nous, on voit les artemia nager avec peine et tout à fait à la surface du liquide. Ils paraissent plus ou moins colorés en rouge ; ils le sont, en effet, dans toute l’étendue de leur canal digestif. Mais cette coloration est tout à fait secondaire, et doit être attribuée aux monades qu’ils ont avalées avec l’eau, qui a fini par laisser déposer dans leur intestin les gros cristaux de sel marin qu’on aperçoit à travers ses tuniques transparentes, au milieu des monades digérées en partie, ou en totalité[1].

Loin d’être la cause de la nuance pourpre que présente l’eau des salines arrivée au degré ultime de concentration, les Artemia doivent donc eux-mêmes leur coloration accidentale aux monas Dunalii qu’ils ont ingérées dans leur canal digestif, ou qui se sont logées entre les filaments de leurs pattes branchiales. La preuve en est que nous avons pu teindre en rouge des Artemia naturellement incolores, en les forçant à vivre pendant quelque temps dans de l’eau de mer colorée elle-même soit par des monades rouges, soit simplement avec du carmin ou de la laque carminée.

Mais, quoique dépouillés du rôle qui leur avait été attribué dans la rubéfaction des eaux, les Artemia salina n’en sont pas moins pour le physiologiste un sujet d’étonnement et de méditation. En effet, à l’exemple de plusieurs animaux appartenant au grand embranchement des articulés (psyché, abeille, papillon du ver à soie), nos crustacés jouissent du singulier privilège de se reproduire sans avoir obéi à la loi générale de l’union sexuelle. Sur plusieurs milliers d’individus soumis à notre observation, nous n’avons pas trouvé un seul mâle nettement caractérisé. Le célèbre naturaliste genevois Carl Vogt déclarait tout récemment[2] n’avoir pas été plus heureux que nous sous ce rapport. D’où il faut conclure que les Artemia de nos salines perpétuent leur espèce à l’aide de femelles constamment vierges, dont les œufs, quoique privés du baptême séminal, se développent dans une poche incubatrice située à la base de l’abdomen maternel, et donnent naissance à des petits qui, avant de ressembler complètement à leur mère, devront subir d’étonnantes métamorphoses. On a donné le nom de parthénogenèse à ce mode singulier de reproduction par des femelles vierges, et indépendamment du commerce des mâles, qui souvent n’existent pas, ou du moins ne sont pas encore connus. Notons en terminant que les œufs de nos Artemia vierges ne produisent que des femelles, tandis que les œufs non fécondés de la reine-abeille ne donnent naissance qu’à des mâles, uniquement à des mâles.

Dr N. Joly (de Toulouse).


LE CIEL AU MOIS D’OCTOBRE 1873

Ce n’est pas sortir du domaine de l’astronomie que de parler des marées et des bourrasques qui, à cette époque de l’année, ont coutume d’aborder les côtes occidentales de l’Europe avec une violence particulière ; le voisinage de l’équinoxe est toujours signalé de cette façon dans les derniers jours de septembre et souvent dans les premiers du mois d’octobre : les raisons astronomiques de cet état de choses sont connues de tout le monde, ce qui nous dispensera de nous étendre sur ce sujet. Bornons-nous à mentionner la grande marée de syzygie, du 7 au 8 octobre, qui est annoncée comme l’une des plus considérables du siècle ; elle est caractérisée par le nombre 1,14, nombre par lequel il faudra multiplier l’unité de hauteur de chaque port, pour avoir la hauteur des plus grandes eaux à la marée de ce jour. Mais on ne doit pas oublier que cette hauteur peut-être sensiblement modifiée par la force et la direction du vent régnant.

Les mauvais temps de l’équinoxe touchent encore les astronomes sous un autre point de vue ; le ciel étant fréquemment pluvieux, couvert de nuées ou de brumes épaisses, est peu favorable aux observations célestes. Ces circonstances ont dû être particulièrement désagréables cette année aux observateurs qui avaient plusieurs comètes, nouvelles ou nouvellement retrouvées à surveiller, la comète IV, 1873, découverte le 23 août dernier par MM. Paul et Prosper Henry, dont MM. Rayet et André ont pu étudier le spectre, et qu’ils soupçonnaient devoir devenir visible à l’œil nu, puis les comètes V et VI, nouvelles apparitions des comètes périodiques de Brorsen et de Faye. Les observatoires européens seront peut-être plus heureux en octobre qu’en septembre. Faisons donc une rapide revue des phénomènes célestes pendant le mois qui va courir.

La portion du ciel que nous aurons plus spécialement en vue, en octobre, au-dessus de l’horizon de notre zone tempéré boréale, comprendra, outre la zone circumpolaire dont nous ne dirons rien parce qu’elle est toujours la même pendant toute l’année, les constellations qui se groupent autour du carré de Pégase : le Renard, l’Aigle, la Lyre à l’occident, Andromède, Persée, le Taureau, à l’orient, les Poissons et la Baleine vers le sud. Signalons notamment deux ou trois objets célestes bien connus, mais qui ne perdent pas pour cela de leur intérêt, au point de

  1. Le sel récolté dans les salines de Villeneuve et des environs est souvent plus ou moins coloré en rouge par les Monas Dunalii, qui lui communiquent en outre une odeur de violettes passablement prononcée.
  2. Au Congrès des naturalistes suisses réunis à Fribourg, en août 1872.