Page:La Nature, 1873.djvu/287

Cette page a été validée par deux contributeurs.
279
LA NATURE.

sieurs égards, la pièce essentielle du télescope, son miroir est percée d’une ouverture circulaire, à travers laquelle passe un tube contenant l’oculaire. Si l’on dirige l’instrument vers un astre, le miroir qui reçoit l’image de l’astre la renvoie sur un petit miroir placé en avant et à son foyer. Par une seconde réflexion, le petit miroir renvoie l’image vers le centre du grand et en arrière, où se trouve l’oculaire (fig. 1). L’observateur est placé, comme dans les lunettes, à l’extrémité inférieure du télescope, tandis que, dans les télescopes newtoniens, il est placé vers l’extrémité supérieure soit de côté, ou même dans certaines constructions, tournant le dos à l’objet qu’il observe.

Fig.1. — Coupe du télescope de Grégory.

Ce système offre des avantages et des inconvénients. Ses avantages sont de réduire le tube à une longueur inférieure à celle qui est nécessitée par les autres formes, de permettre à l’astronome de rester sur le sol et de se servir du télescope comme d’une lunette, et d’agencer l’instrument comme on monte les lunettes. La monture équatoriale du télescope de Melbourne permet en effet de donner au télescope tous les mouvements possibles, de le diriger rapidement vers tous les points du ciel et de lui appliquer un mouvement d’horlogerie qui maintient constamment dans son champ l’astre vers lequel il est dirigé. (Cette dernière disposition est applicable et appliquée du reste à tous les équatoriaux des observatoires.) Ses inconvénients sont surtout d’avoir moins de lumière, — la double réflexion éteint un plus grand nombre de rayons lumineux que dans la disposition newtonienne, — et d’avoir une seconde image trop grande, car elle est amplifiée cinq à six fois par le petit miroir. De plus, en construisant le miroir en métal au lieu de le construire en verre, comme nous le faisons en France, on lui donne un poids considérable (celui-ci pèse 1,590 kilog.) et, les variations de température aidant, il est susceptible de se déformer. Quoi qu’il en soit, les avantages ont paru supérieurs aux inconvénients aux constructeurs du télescope, puisqu’ils se sont décidés pour le système Cassegrain.

Il fallut construire spécialement tous les engins qui devaient servir à son établissement : moule pour le miroir ; machine à vapeur pour le creuser, lui donner la courbure voulue et le polir ; matériaux pour le support, pour le montage et pour le tube ; axe, engrenages, etc., etc. L’opération capitale était naturellement de réussir l’énorme miroir métallique de quatre pieds de diamètre. Une machine à vapeur fut installée exprès pour lui seul ; elle mettait en mouvement l’engin destiné à creuser le disque de fonte de même diamètre que le miroir et de même courbure, mais convexe au lieu de concave. Pour le dégrossissement, on se servit de sable et d’eau, et, pour la dernière retouche, d’émeri très-fin et d’eau. La pression moyenne pendant l’opération était de 112 livres, et le nombre des coups de la machine de 32 par minutes. Le miroir, mobile lui-même, faisait de son côté un tour sur son axe par 14 coups. Il ne fallut pas moins de 650 heures d’opération continuelle pour faire le dégrossissement, et de 520 heures pour achever la courbure.

Ce fut ensuite le tour du polissage, opération délicate, qui demanda d’autres machines et d’autres engins, et fut conduite à bonne fin comme la précédente. Puis ce fut la fabrication du petit miroir, courbé de façon à recevoir tous les rayons émanés du grand et à renvoyer l’image vers son centre. Il fallut ensuite faire le corps du télescope, extrêmement solide, habiller le grand miroir et l’établir sur un support digne de confiance ; on fabriqua celui-ci en lames croisées et en épais métal, de manière à éviter toute flexion, toute déformation ultérieure. Lorsque l’instrument optique fut achevé, on termina l’étude du montage ; il fallait l’établir de telle sorte qu’il pût être dirigé sans fatigue et rapidement vers tous les points du ciel, et, de plus, rester mobile, parfaitement équilibré, et se mouvoir automatiquement sous l’action précise d’un mouvement d’horlogerie, de manière à suivre les astres dans leur mouvement apparent au-dessus de nos têtes. Nous n’entrerons pas dans de plus longs détails. Pendant un an les machines fonctionnèrent ; pendant un an les pièces se construisirent simultanément sous la main des ouvriers spéciaux ; l’œil d’un visiteur étranger aurait cru voir, à travers les flammes de l’usine, les tours et les poulies, d’étranges préparatifs pour un canon de forte dimension et deviner les pièces d’un gigantesque instrument de destruction, car ce sont là aujourd’hui les plus fréquents, les plus étudiés des travaux que les gouvernements protègent et désirent. Mais il ne s’agissait pas ici d’un de ces perfectionnements de l’artillerie qui sont la honte et l’opprobre des nations civilisées ; il s’agissait d’une construction vraiment digne du génie de l’homme, destinée à abaisser la hauteur des cieux, ou plutôt à nous élever au-dessus de ce bas monde et à nous rapprocher des splendeurs de la création éternelle.

On a pris pour modèle de la substance du miroir celle du miroir du gigantesque télescope établi par lord Rosse à son parc de Parsonstown ; elle est composée de quatre équivalents de cuivre pour un d’étain. Cette composition métallique est très‑résistante. Son pouvoir réflectif est excellent, car le cuivre réfléchit les rayons les moins réfrangibles, par exemple les rayons rouges, en plus grande quantité que ceux des autres couleurs, tandis que le zinc réfléchit au contraire les rayons violets en plus grande quantité que les rouges, de sorte qu’un alliage des