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LA NATURE.

déchirures de la voile délicate par les aspérités du sol ou des buissons, alors que l’insecte marche ou saute. La figure où l’on voit deux Acridium l’un au repos, l’autre parcourant l’atmosphère, fait bien comprendre cette distinction.

L’espèce la plus répandue de ce genre funeste doit avoir son origine dans divers lieux déserts de l’ancien monde, comme les steppes de l’Asie centrale d’une part et l’intérieur de l’Afrique de l’autre, sans qu’on puisse préciser exactement la limite australe. Elle étend ses ravages par d’immenses colonnes voyageuses des rivages orientaux de la Chine aux côtes du Maroc et du Sénégal ; on en rencontre des légions dans toute la Chine, la Perse, l’Asie Mineure, l’Égypte, le Soudan et les anciens États barbaresques ou tout le nord de l’Afrique et, ce qui est fort triste pour nous, l’Algérie. C’est le Criquet nomade ou pèlerin (Acridium peregrinum, Oliver). Il est de grande taille, pouvant atteindre 65 millimètres dans les deux sexes. Le corps est dépourvu de poils, ordinairement d’un jaune vif, avec beaucoup de lignes et de points ferrugineux, formant comme une marqueterie. Les antennes sont jaunes à la base puis brunes. Les élytres, plus longues que l’abdomen, assez étroites arrondies au bout, sont opaques et jaunes à la base ainsi qu’au bord antérieur, puis transparentes avec des séries de taches noirâtres, ce qui constitue des bandes transversales très-irrégulières. Les ailes, aussi longues que les élytres, sont amples et transparentes, à nervures jaunes avec le bord antérieur teinté de la même couleur.

L’abdomen et le dessous du corps sont brunâtres et luisants, et les pièces qui le terminent sont courtes ; les pattes sont d’un beau jaune avec les épines des jambes postérieures noires.

La détermination de cette espèce est due au savant voyageur Olivier (Voyage dans l’empire ottoman, t. II, p. 121), à la fin du dernier siècle. Voici comment s’exprime Olivier, alors en Syrie, sur les migrations de cette espèce, dont il a été témoin, et ce récit est précieux en ce qu’il émane d’un homme habitué aux observations scientifiques : « À la suite de vents brûlants du midi, il arriva de l’intérieur de l’Arabie et des parties les plus méridionales de la Perse des nuées de sauterelles (nom vulgaire), dont le ravage pour ces contrées est aussi fâcheux et presque aussi prompt que celui de la plus forte grêle en Europe. Nous en avons été deux fois les témoins (Olivier et son compagnon Bruguières).

« Il est difficile d’exprimer l’effet que produisit en nous la vue de toute l’atmosphère remplie de tous les côtés et à une très-grande hauteur d’une innombrable quantité de ces insectes, dont le vol était lent et uniforme, et dont le bruit ressemblait à celui de la pluie ; le ciel en était obscurci et la lumière du soleil considérablement affaiblie. En un moment, les terrasses des maisons, les rues et tous les champs furent couverts de ces insectes, et, en deux jours, ils avaient presque entièrement dévoré toutes les feuilles des plantes ; mais heureusement ils vécurent peu, et ne semblèrent avoir émigré que pour se reproduire et mourir. En effet, presque tous ceux que nous vîmes le lendemain étaient accouplés, et, les jours suivants, les champs étaient couverts de leurs cadavres, j’ai trouvé cette espèce en Égypte, en Arabie, en Mésopotamie et en Perse. »

Olivier fait mention d’une variété de l’Acridium peregrinum, où le fond jaune est remplacé par du rougeâtre clair. Audinet-Serville dit avoir reçu cette variété de Palestine, prise sur le mont Sinaï. Elle existe aussi en Algérie, comme me l’a fait connaître M. Come, qui professa longtemps l’histoire naturelle au lycée d’Alger ; ces Sauterelles rouges sont souvent prises à tort comme une espèce particulière. Les mœurs du Criquet pèlerin ont été observées dans notre colonie, notamment par M. H. Lucas lors de l’exploration scientifique de l’Algérie, entreprise sous Louis-Philippe à la suite des victorieuses campagnes du maréchal Bugeaud. C’est l’espèce qui s’y rencontre le plus abondamment, bien qu’elle n’y soit pas dévastatrice tous les ans. Les indigènes la nomment El Djerad (la sauterelle) ou Djerad el arbi (la sauterelle arabe). Elle présente cinq mues ou changements de peau : la première a lieu cinq jours après la sortie de l’œuf, la seconde six jours après la première, la troisième huit jours après la seconde, et dans ces trois premières mues (état de larve) l’insecte n’a pas d’ailes ; ensuite, se produit la quatrième mue au bout de neuf jours, et l’insecte est alors en nymphe, avec les élytres et les ailes raccourcies, pendantes sur le dos, impropres au vol et enveloppées de fourreaux. Enfin la cinquième mue ou l’état parfait arrive dix-sept jours après, en tout quarante-cinq jours à partir de la sortie de l’œuf.

L’espèce apparaît au milieu du printemps à l’état adulte, venant du sud. Ces criquets ne commencent à voler qu’entre sept et huit heures du matin, suivant que le temps est plus ou moins clair, demeurant jusque-là engourdis sur les branches d’arbres, sous les feuilles larges, dans l’herbe des fossés, surtout quand il est tombé de la rosée pendant la nuit. L’accouplement s’opère dans la journée, le mâle grimpé sur le dos de la femelle. Il agite de temps en temps ses longues pattes, et la femelle y répond par un mouvement analogue. La femelle marche et mange, gardant avec elle le mâle, qui souvent même ne la quitte pas pendant la ponte. Cet acte s’opère de préférence dans des terres meubles, sablonneuses. Si la terre est un peu dure la femelle y creuse un trou cylindrique, large d’un centimètre environ, en donnant une demi-rotation à son abdomen et ouvrant en même temps ses quatre valves terminales, qui tassent la terre sur les côtés ; on dit que les trous soit creusés par la femelle, soit probablement préexistants en partie, peuvent avoir une profondeur de trente millimètres, et qu’alors les anneaux de l’abdomen qui s’enfonce en terre se distendent comme un tube élastique.

On voit un grand nombre de femelles pondant en cercle, serrées les unes contre les autres là où la