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LA NATURE.

cieux feuillage dans l’onde des fleuves, comme dans l’immense vallée du Nil ; le gigantesque baobab domine d’autres cours d’eau, comme le Zambèze. Dans les régions tropicales, une végétation luxuriante et désordonnée encombre les rivages des fleuves ; les arbres, entassés pêle-mêle, dressent leurs troncs au milieu d’herbes enchevêtrées ; leur feuillage s’étend au-dessus des roseaux touffus, des végétaux aqueux, aux feuilles gigantesques ; les lianes et les plantes grimpantes forment, au milieu de ce dédale vivant, mille guirlandes gracieuses. Les troncs d’arbres s’affaissent au-dessus du sol ; mais la foule des plantes est si compacte, qu’ils ne peuvent se coucher contre terre ; ils sont soutenus dans l’espace par mille tiges d’herbes épaisses, par mille liens qui les rattachent aux vivants. La fécondité de la nature apparaît dans toute sa puissance au milieu de cette surabondance de vie qui déborde de toutes parts.

L’Amazone à son embouchure.

Cet encombrement de végétation fait naître dans les fleuves de l’Amérique un phénomène remarquable, produit par une accumulation d’arbres flottants appelés rafts. Les arbres déracinés par l’effort du vent ou par les éboulements, entraînés par les courants, arrêtés dans leur marche par des îles, des hauts-fonds ou d’autres obstacles, forment des îles mouvantes, qui peuvent embrasser toute la largeur du courant, et mettent une entrave à la navigation. Parmi les plus grands rafts ou îles flottantes, nous devons mentionner celui d’un des bras du Mississipi, l’Afchafalaya, qui emporte constamment dans son cours une grande quantité de bois amenés du Nord. En 40 années, ce fleuve a accumulé sur un même point une quantité de débris flottants tellement considérables, qu’il a formé une île énorme de 12 kilomètres de long sur 220 de large, et 2m,50 de profondeur. En 1816, cette masse s’abaissait et s’élevait avec le niveau du fleuve, ce qui n’empêchait pas les progrès de la végétation de la couvrir d’un manteau de verdure ; à l’automne, des fleurs en égayaient l’aspect. En 1833, les arbres de l’île flottante avaient atteint 60 pieds de hauteur, et des mesures durent être prises par l’État de la Louisiane, pour anéantir ce raft immense qui opposait un insurmontable obstacle à la navigation.

Sur la rivière Rouge, sur le Mississipi, sur le Missouri, on rencontre fréquemment des amas de même nature, et le cours de ces fleuves est ainsi entravé par des amas d’arbres déracinés et par les débris trop abondants des naufrages ; « unis par des lianes, cimentés par des vases, ces débris deviennent des îles flottantes ; des jeunes arbrisseaux y prennent racine ; le pistia et le nénuphar y étalent leurs roses jaunes ; les serpents, les caïmans, les oiseaux viennent se reposer sur ces radeaux fleuris et verdoyants qui arrivent quelquefois jusqu’à la mer, où ils s’engloutissent. Mais voici qu’un arbre plus gros s’est accroché à quelque banc de sable et s’y est solidement fixé ; il étend ses rameaux comme autant de crocs auxquels les îles flottantes ne peuvent pas toujours échapper ; il suffit souvent d’un seul arbre pour en arrêter successivement des milliers ; les années accumulent les unes sur les autres ces dépouilles de tant de lointains rivages : ainsi naissent des îles, des péninsules, des caps nouveaux qui changent le cours du fleuve[1]. »

  1. Malte-Brun.