Page:La Nature, 1873.djvu/255

Cette page a été validée par deux contributeurs.
247
LA NATURE.

sait pas encourager les travaux de ce genre ; tandis que de l’autre côté de la Manche, les naturalistes, avides d’explorer les profondeurs océaniques, ont été pourvus d’un magnifique navire, véritable arsenal de l’observation scientifique, tandis qu’on leur a assuré les ressources d’un voyage autour du monde, nous laissons nos savants jeter leurs sondes à quelques kilomètres de nos côtes !

Gaston Tissandier.

LES CYCLONES

Les cyclones ou tempêtes tournantes sont l’un des phénomènes les plus importants et les plus curieux de l’atmosphère. Ces formidables météores, dont la route est marquée par tant de désastres, sont désignés par différents noms : ouragans (Hurracan), dans l’océan Indien ou l’Atlantique ; typhons (Tyfoon), dans la mer de Chine ; simoun, dans le désert ; tornades, sur la côte occidentale d’Afrique. Ces derniers tourbillons ne s’étendent qu’à une petite distance de leur point de formation, tandis que les cyclones peuvent couvrir une surface circulaire dont le diamètre varie de cent jusqu’à cent cinquante milles marins. En même temps qu’il tourbillonne avec une vitesse qui va croissant de la circonférence au centre, où règne un calme complet, le cyclone obéit à un mouvement de translation dont la vitesse, comme celle du mouvement de rotation, varie suivant l’intensité de l’ouragan, et augmente à mesure qu’il progresse.

Les études poursuivies, depuis le commencement du siècle, par d’éminents météorologistes, dont nous aurons à citer les travaux dans le cours de ce résumé, ont permis de suivre la marche et de tracer la route des cyclones. Les navigateurs, guidés maintenant par la connaissance des lois qui régissent ces météores, et dont la découverte est une des belles conquêtes de la météorologie, peuvent sinon les éviter, du moins les traverser avec moins de chances de perdition. Mais, avant de faire connaître ces lois des tempêtes et les intéressantes observations qui ont conduit à leur découverte, nous reproduirons, en l’abrégeant, la relation d’un cyclone observé dans les régions de l’Océan où ces tourbillons se rencontrent le plus fréquemment, et où ils présentent les caractères les plus redoutables. L’ensemble de cette relation, qu’a bien voulu nous communiquer l’un des officiers du bâtiment assailli par l’ouragan, suffira pour mettre nos lecteurs à même de suivre avec plus d’intérêt ce que nous aurons à dire de la théorie des cyclones, et de son application aux mouvements tournants de l’atmosphère :

« Le 3 octobre 1871, par un temps calme, pluvieux, le transport l’Amazone, vaisseau mixte à deux ponts commandé par M. Riondet, capitaine de frégate, appareillait de Port-de-France pour Rochefort, avec 220 hommes d’équipage et 124 passagers. Notre machine étant trop peu puissante pour lutter avantageusement contre les alizés, qui soufflent constamment du N.-E. ou de l’E.-N.-E. dans ces parages, nous nous élevâmes dans le nord afin d’aller chercher des vents favorables. Après avoir doublé l’île de la Désirade, on établit toute la voilure, et les feux de la machine furent éteints. Nous filions ainsi six nœuds au plus près du vent.

« Le 8, le temps commença à se couvrir vers l’est ; les nuages passant à l’ouest par le nord nous amenaient quelques grains, pendant lesquels le vent sautait de l’E.-N.-E. au N.-E. Aux nuages blancs et arrondis, caractéristiques des alizés, succédaient peu à peu des cirrus et des nimbus. Pendant la nuit les grains devinrent fréquents ; de fortes rafales et une pluie torrentielle les accompagnaient. On commença à prendre des ris dans les voiles. Dans la journée du 9, le vent força ; une grosse houle soulevait la mer, et pendant les grains, la brise refusait momentanément. Avant la nuit nous avions déjà deux ris aux huniers, un ris aux basses-voiles et deux aux voiles goélettes ; nous portions en outre l’artimon et le petit foc. Les étoiles disparaissaient sous un rideau de nuages grisâtres, et des éclairs se montraient dans la partie ouest. Le baromètre commençait à descendre, mais si lentement que nous n’avions aucune inquiétude. Dans la matinée du 10, le vent se fixa au N.-E. et les grains se succédèrent presque sans interruption, amenant une pluie à larges gouttes. La mer tourmentée, marbrée d’écume, élevait de grandes vagues dont le sommet transparent se recouvrait d’une légère poussière blanche ; le ciel, couvert d’épais nuages d’un gris de plomb, était menaçant.

« L’Amazone poursuivait toujours sa route. Notre unique souci était la perte de temps que nous occasionnait ce coup de vent, qui, directement contraire à notre route, nous rejetait dans l’ouest. Le 10, à midi, nous étions par 25° 52′ de latitude nord et 67° 41′ de longitude ouest. Le vent redoublait. Sa violence était devenue telle que les vagues ne pouvaient plus élever leurs crêtes, elles étaient renversées dans leur propre sillon. De longues stries blanches couraient à la surface de la mer, surmontées à une grande hauteur d’une poussière d’écume entraînée par le vent. C’est alors seulement qu’on songea à la possibilité d’un cyclone. Étions-nous en présence d’un de ces ouragans ou d’une tempête rectiligne ? La manœuvre étant opposée dans chacun de ces deux cas, il importait d’avoir le plus tôt possible une certitude. Une forte houle, la violence croissante du vent et la baisse du baromètre, qui sont les indices d’un cyclone, sont aussi ceux d’une tempête ordinaire, avec cette différence que la baisse barométrique est plus prononcée dans le premier cas. Or le baromètre, qui le 9 à midi marquait 764 millimètre, était descendu progressivement jusqu’à 759 millimètres le 10 à midi, baisse qui n’avait rien d’alarmant et pouvait faire croire à un simple coup de vent. Nous étions, il est vrai, dans les parages les plus fréquentés par les cyclones, mais ces phénomènes sont rares, et comme nous savions qu’il en était récemment passé deux (l’un le