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LA NATURE.

vements et les phénomènes de l’atmosphère, ont donné lieu à d’innombrables observations, résumées dans la géographie physique de la mer avec un rare esprit de généralisation. L’entreprise si véritablement internationale qui a été le point de départ de ces observations est poursuivie par des savants éminents en Amérique, en Angleterre, en Allemagne, en Hollande, en Italie, en France, dans la plupart des États civilisés, et les résultats obtenus permettent d’espérer que les masses de documents qui sont maintenant coordonnés et discutés, conduiront aux plus importantes applications théoriques et pratiques. L’avenir de la science, principalement de la météorologie, est dans l’association. Le lieutenant Maury a mis sur la voie de ce progrès par la réalisation d’une idée aussi simple que féconde : l’étude et la discussion des observations enregistrées dans les journaux de bord. Mais les premiers et admirables fruits de cette heureuse idée ont été dus à ses méthodiques études, à sa pénétrante induction, à son profond amour de la nature, et à l’élévation d’un esprit d’élite dont la place est marquée dans la glorieuse histoire de la science au dix-neuvième siècle.

Élie Margollé.

LES CRIQUETS DÉVASTATEURS

Il ne se passe pas d’année où l’on ne lise dans quelque journal un récit d’invasion de Sauterelles, des calamités qui en résultent, et souvent des craintes si justifiées de la famine, conséquence de la visite des terribles cohortes ailées. L’Algérie vient de nouveau, en 1873, d’être éprouvée par leurs ravages.

Si, depuis l’avant-dernière plaie d’Égypte, on est bien édifié sur le fléau, on connaît encore fort mal les agents. Les espèces migratrices de l’Amérique et de l’Australie sont pour la plupart inédites, et beaucoup de confusion existe relativement aux espèces qui envahissent l’Europe ou les régions de l’Asie Mineure et du nord de l’Afrique, qui sont ses dépendances commerciales les plus voisines dans les deux plus grands continents de l’ancien monde. Peut-être rendrons-nous service en présentant à cet égard des notions scientifiques encore assez incomplètes.

D’abord que signifie le mot Sauterelles ? Bien qu’il y ait des genres sauteurs dans divers ordres d’insectes, on applique seulement ce nom à ceux des orthoptères dont les cuisses postérieures sont longues et épaisses et pourvues de muscles puissants.

Repliées contre la jambe qui s’appuie sur le sol, elles se débandent brusquement en se redressant et lancent le corps de l’animal en avant comme par l’effet d’un ressort. Nous reconnaissons les orthoptères à leurs grandes ailes hétéronomes, existant dans la plupart des espèces, les antérieures en général étroites et coriaces surtout au bord antérieur (pseudélytres), les postérieures (ailes principales) membraneuses, amples, élégamment repliées en éventail au repos, afin que les pseudélytres puissent les recouvrir et protéger contre les chocs et les déchirures la voile délicate. Les orthoptères constituent les gros mangeurs parmi les insectes ; ils sont pourvus de pièces buccales courtes et fortes, propres à broyer et à couper les végétaux. En outre leur tube digestif à nombreuses poches rappelle l’estomac multiple des ruminants, qui sont, eux aussi, les grands destructeurs des plantes.

Tout d’abord élucidons une question de vocabulaire entomologique, à propos des insectes orthoptères dévastateurs ; il y a peu d’exemples en zoologie d’aussi grands écarts entre le langage vulgaire et les noms de la science exacte.

Les véritables sauterelles sont les Locustiens. Leur type le mieux connu est celui de la grande sauterelle verte (Locusta viridissima, Linn.), la Sauterelle à coutelas, de Geoffroy, qui vole à quelques mètres de distance, en étalant ses vastes ailes de gaze verte, dans les blés, les prairies, les plates-bandes de légumes, les bordures des champs. Le mâle, retiré souvent dans les haies et caché par les feuilles, chante pendant toute la nuit à la fin de l’été. On croirait entendre zic, zic, zic, avec des interruptions égales à la durée de chaque note. C’est ce grand et bel insecte qu’on nomme souvent la Cigale, aux environs de Paris.

Il est représenté en tête de la fable classique, dans des anciennes éditions illustrées, faites sous les yeux de La Fontaine, qui partageait l’erreur commune. Si l’on examine de près cet insecte caractéristique et qui n’est pas nuisible, on observe que ses pattes se terminent par des tarses de quatre articles. Le nombre des articles des tarses fournit, comme on le sait, d’excellents caractères de classification aux entomologistes. En outre, ces insectes ont de longues et fines antennes, et les Locustiens femelles offrent l’abdomen prolongé par un long tuyau en gouttière, destiné à la ponte des œufs. Cet oviscapte, qui rappelle par la forme un coutelas ou un sabre, selon qu’il est droit ou courbé, indique des insectes qui déposent leurs œufs dans des cavités, des fentes du sol, des fissures des végétaux. Le chant des Locustiens est produit, presque exclusivement chez les mâles, par le frottement de certaines parties des pseudélytres ou ailes de devant l’une contre l’autre. C’est la résonance du tambour de basque, toujours avec la même note, variant, suivant les espèces, d’une monotonie fatigante.

Les orthoptères dévastateurs appartiennent à un autre groupe ; les Acridiens ou Criquets. Les différences sont très-notables pour quiconque a un peu l’habitude d’observer. Les antennes sont plus ou moins courtes et épaisses. Les tarses n’ont plus que trois articles. Les femelles ne présentent plus au bout de l’abdomen le tube allongé des précédentes. Les quatre pièces accolées deux à deux sont devenues quatre valvules, courtes et pointues, deux supérieures, deux inférieures. Aussi la ponte a lieu sur le sol même ou dans de vastes creux où l’insecte peut introduire tout