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LA NATURE.
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nisme percutant, et il suffit, dans cette situation, d’un léger choc sur le bras du levier supérieur pour déterminer l’explosion. Les expériences ont constaté que si la torpille rencontre le bâtiment ennemi ou glisse le long de ses flancs, un des deux leviers dont elle est pourvue fonctionnera invariablement ; de ce côté les résultats sont certains. L’appareil est également maniable à bord. Son infériorité provient des manœuvres spéciales et tout à fait extraordinaires imposées au navire torpilleur. Ainsi l’explosion ayant lieu au contact, ce bâtiment doit courir sur l’ennemi et le ranger de façon que l’une des torpilles vienne heurter la carène. Quoi qu’en dise M. Harvey, dans ses Instructions, cette opération est assez difficile pour qu’en beaucoup de cas elle devienne un obstacle insurmontable au succès. Il est logique de penser d’ailleurs qu’un cuirassé muni d’une forte artillerie, bien servie, ne la laissera pas s’exécuter aussi tranquillement que le suppose M. Harvey. Sa torpille ne nous paraît donc ne devoir exercer sur l’ennemi qu’un effet moral. Il est vrai que cet effet peut jouer dans une lutte, et sur un officier manquant de coup d’œil, de décision, de sang-froid, un rôle capital.

Les tentatives faites dans ces derniers temps pour doter la torpille d’une force motrice indépendante auront sans contredit sur les futurs engagements maritimes, si elles aboutissent (ce qui nous semble certain), une action beaucoup plus marquée. Pour ce motif, et bien qu’elle ne soit pas encore l’idéal, la torpille Whitehead-Luppis mérite l’attention des hommes qui dirigent en ce moment leurs études sur la question qui nous occupe.

Son invention est due à M. Luppis, officier de la marine autrichienne, et à M. Whitehead, ingénieur d’une manufacture de Fiume. Le gouvernement anglais, après que l’Autriche l’eut essayée pendant plusieurs années, en paya le secret 250 000 francs, avec promesse de verser une seconde somme de 125 000 s’il était reconnu qu’il fut possible de le rendre pratique. M. {{{2}}} exhiba sa machine devant quelques officiers anglais, en 1870, dans la Medway. C’était un vase en fer, en forme de cigare, d’environ 4m,25 de long et mû au moyen d’une hélice et d’une machine à air comprimé. Un gouvernail automatique dirigeait l’appareil, et son immersion était réglée par un système de valves.

Le bâtiment destiné à lancer la torpille Whitehead porte à l’avant, dans la direction de la quille, un tube spécial fixe sous la flottaison. Au moyen de l’air comprimé, on lance le projectile-torpille, dont le moteur entre en action au sortir du tube et communique sa vitesse à la torpille. Cette vitesse a été, dans la Medway, d’environ 4 mètres 10 par seconde ; il faudrait donc à la torpille 66 secondes pour franchir les 270 mètres qui constituent sa portée estimée.

Comme on le voit, la torpille Whitehead est, pour ainsi dire, un éperon prolongé, et allant frapper le navire ennemi sur un point où l’artillerie a de nombreuses chances de rester inefficace. Le seul inconvénient qu’on lui reconnaisse est celui-ci :

Au moment du lancement, il est nécessaire que la vitesse du bâtiment qui projette la torpille soit inférieure à celle qu’on peut imprimer au projectile. Il convient donc, à cet instant, de modérer la marche du navire, jusqu’à ce qu’elle soit d’un nœud (1 875 mètres) ou d’un nœud et demi inférieur à celle de la torpille. Cette précaution est de toute nécessité pour éviter les causes d’accidents. Elle représente aussi une obligation que les marins signalent comme un embarras des plus graves. On entrevoit facilement, en effet, les conséquences auxquelles peut entraîner une diminution aussi notable de la vitesse normale. On comprend tout le danger qu’il y a, pour l’agresseur, à ralentir sa marche au moment même où il s’approche de l’ennemi et s’expose à ses coups. D’autre part, la torpille n’étant plus fixée à l’avant du bâtiment, mais au contraire lancée comme un projectile vers un but mobile, l’incertitude du résultat, qui est le choc, augmente rapidement avec la distance du bâtiment à atteindre. Enfin pour lancer sa torpille à propos, l’agresseur doit, tenir compte de la direction du bâtiment qu’il attaque, apprécier sa vitesse et manœuvrer ensuite pour présenter son avant sous un angle de tir difficile à préciser avec des données aussi problématiques.

Il peut arriver néanmoins que des circonstances se prêtent à une bonne manœuvre de la torpille, ainsi qu’il arriva lors de l’expérience faite dans la Medway, par l’Oberon sur l’Eagle, qui fut atteint avec un plein succès à une distance de 118 mètres. La torpille Whitehead devient alors une arme contre laquelle aucun navire ne saurait lutter. Mais ces conditions de réussite se reproduiront-elles deux fois ?…

Pour donner une plus grande certitude à l’action de la torpille Whitehead, en Angleterre (et, croyons-nous, en France) on s’efforce de remédier aux défauts qui ont donné lieu aux critiques que nous venons de reproduire, tandis qu’en Russie, en Allemagne, en Italie, en Autriche, aux États-Unis, on recherche, avec des engins de formes diverses, une utilisation absolument pratique de l’air comprimé. Les Américains, dont les chantiers ont cessé, depuis leur guerre de sécession, de construire des navires de guerre, montrent, en revanche, dans cette voie nouvelle l’activité qui est le trait le plus saillant de leur physionomie nationale. Le constructeur du Spuyten-Duyvil, M. Lay, a fait agréer du gouvernement un bateau-torpille automobile dont les expériences n’ont pas encore donné les résultats que son inventeur en espérait. Il y a, pensons-nous, plus de fond à faire sur la torpille mobile sous-marine que son compatriote M. le capitaine John Ericsson se propose d’expérimenter prochainement. Les obstacles qu’il prétend surmonter sont nombreux et de plus d’un genre, mais il a dans le succès une foi si profonde, qu’on ne peut se défendre de la partager. M. John Ericsson s’est acquis d’ailleurs, dans le monde scientifique et marin, une place exceptionnelle. C’est lui qui, concurremment avec l’Anglais Smith, a rendu pratique l’usage de l’hélice. Son propulseur est le premier