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LA NATURE.

Ce type de bateau-torpille (picket-boat) a survécu à la guerre de sécession. Il n’y a pas aujourd’hui une seule marine qui n’en ait un plus ou moins grand nombre dans ses arsenaux.

Ou doit aux fédéraux un autre modèle de bateau-torpille : le Spuyten-Duyvil. Il a 74 pieds de long et jauge 130 tonneaux. Il est muni de compartiments dans lesquels on peut introduire de l’eau jusqu’à le couler à la hauteur de la ligne du pont. Ce pont, qui dans ce cas est la seule partie du navire qui émerge, est doublé de plaques de fer. Au milieu se trouve la guérite du pilote ; elle est également cuirassée. Le système de torpilles adopté pour ce type de bateaux est celui dont M. Wood est l’inventeur ; il est manœuvré de l’intérieur par un mécanisme puissant : une cloison s’abaisse et l’espar armé de sa torpille va frapper l’ennemi sous sa ligne de flottaison et sans qu’une goutte d’eau puisse entrer dans le navire agresseur[1].

La guerre de sécession ayant pris fin au moment de son lancement, le Spuyten-Duyvil n’a servi jusqu’à présent qu’à faire sauter, avec un succès dont notre dessin représente fidèlement les effets, les barrages que les Américains avaient établis sur quelques-unes de leurs rivières.

Le Spuyten-Duyvil détruisant des obstructions sous-marines.

Son infériorité par rapport aux picket-boats est, à notre sens, d’être plus visible, et par suite moins propre à un coup de main. Celui que l’amiral Porter fait construire en ce moment à Brooklyn, dans le plus grand mystère et sur des plans semblables, ne nous paraît pas mieux conçu, au moins au point de vue de l’invisibilité. Il est néanmoins supérieur à son aîné sur ce point qu’il « est muni, dit le New-York Times, d’un éperon long de 40 pieds à l’extrémité duquel fonctionne une machine qui, sous l’action de l’électricité, pourra envoyer de petites torpilles contre l’ennemi. » Mais les essais donneront-ils gain de cause à son auteur ?…

Nous le répétons, s’il est possible de trouver dans une escadre un certain nombre d’hommes décidés et capables de manœuvrer ce genre de bateaux (picket-boats, plus ou moins vastes), un navire bien gardé aura toujours des chances nombreuses d’échapper à leur contact ; et leur action ne saurait être effective que dans des circonstances particulières et assez rares.

La même critique peut être adressée à l’invention de M. Harvey, qui, elle aussi, malgré l’engouement dont elle est encore l’objet de la part de quelques marins, ne saurait avoir, dans les rencontres navales un effet décisif. Voici en quoi elle consiste :

Manœuvre de la torpille Harvey.

Étant donné un navire de guerre, ce navire, allant au combat, remorque de chaque bord une torpille amarrée à un câble filé à 100 mètres de l’arrière ; une bouée soutenant la torpille la maintient à une profondeur telle que la caisse immergée ne puisse pas passer sous la quille du navire qu’elle est destinée à heurter. Mais pour qu’elle frappe en plein dans la carène, la caisse contenant la matière explosible et la bouée doivent avoir une forme allongée, effilée, de manière à diminuer la résistance à la marche dans l’eau. Cette caisse est munie d’un appendice fixe, qui, maintenu sous une inclinaison déterminée, fait l’office de gouvernail ; l’appareil tout entier s’écarte ainsi du navire qui le remorque, jusqu’à faire un angle de 45 degrés environ. La figure formée par le bâtiment agresseur et les deux torpilles remorquées est celle d’un V renversé (Ʌ), ouvert de 90 degrés.

Lorsque la torpille est convenablement disposée, on enlève la clavette de sûreté, qui neutralise le méca-

  1. La gravure que nous donnons du Spuyten-Duyvil (p.177) est extraite de la nouvelle édition de notre ouvrage les Merveilles de l’art naval. — Hachette et Cie, 1873.