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N° 12 — 23 AOÛT 1873
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LA NATURE.

LES TORPILLES OFFENSIVES

La question des torpilles offre une importance capitale ; elle préoccupe très-sérieusement les marines des pays civilisés, et s’impose tout à la fois aux études d’un grand nombre de savants : mécaniciens, physiciens et chimistes. La torpille en effet apporte d’étonnantes complications à la science déjà si complexe du combat naval.

Nous avons raconté ailleurs[1] les débuts de la torpille depuis sa création par deux Américains, Bushnell et Fulton, jusqu’à sa réapparition lors des guerres de Crimée et d’Italie, et le rôle important qu’elle a rempli dans la guerre de sécession, aux États-Unis.

Nous ne connaissions alors que la torpille défensive, celle que l’on place dans les rivières, les entrées de port, et que le choc ou l’électricité enflamme. Ce genre de torpilles, dites dormantes, a fait depuis de considérables progrès ; on peut même affirmer que si ces engins n’ont pas atteint la perfection, ils sont bien près d’offrir aux eaux qu’ils auront à défendre une sécurité absolue, quelque ingénieux que se montre l’agresseur à les découvrir. Le talent dépensé dans cette voie par toutes les marines devait amener ce résultat. Mais ce que l’on n’osait prévoir au début, c’est le rôle offensif de la torpille rendue mobile, qu’elle soit conduite sur l’ennemi par des hommes de la trempe des brulôtiers grecs Canaris et Pépinis, ou des torpédistes américains Davidson et Cushing, ou que la redoutable machine soit remorquée par des bâtiments spéciaux sur le théâtre d’un combat naval (système Harvey), ou enfin que, douée d’une force propre, elle aille frapper un navire désigné à ses coups (systèmes Whitehead-Luppis, Lay, Ericsson, etc.) C’est pourtant sous ces trois formes qu’elle se présente aujourd’hui aux méditations des tacticiens et des ingénieurs, dont l’œuvre, depuis un demi-siècle, recommence sans cesse avant même d’être achevée.

Le Spuyten-Duyvil, bateau torpille américain.

La première marine qui ait fait l’expérience des torpilles, nous l’avons dit, est la marine des États-Unis. Après les avoir employées pour la défense de leurs rivières, pendant leur guerre de sécession, les Américains en vinrent peu à peu à imiter les Chinois et imaginèrent des machines qui, abandonnées au courant des fleuves, allaient éclater contre les flancs des navires qu’ils voulaient détruire. Mais ce peuple ingénieux et hardi ne devait pas en rester à ces essais, si satisfaisants qu’ils fussent.

En 1863, alors que la flotte fédérale bloquait Charleston, il y avait dans ce port un petit bateau dont il faut parler, car il est l’ancêtre des torpilles mobiles. Construit pour les travaux sous-marins, son mécanisme était des moins compliqués ; il consistait en un simple engrenage qui, mû à la main, faisait, évoluer une hélice. Submergé il recevait l’air par le moyen assez élémentaire d’un long tuyau maintenu à la surface de l’eau par un flotteur. Un officier rebelle, dont le nom nous échappe, l’ayant vu, songea aussitôt à l’utiliser pour aller la nuit fixer une torpille sous les flancs de l’un des navires qui cernaient le port.

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  1. Le Fond de la mer. — Paris, Hetzel ; in-8o.