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LA NATURE.

toute la durée de l’expérience à 15 degrés ; à la température de 4° obtenue à l’aide de la glace on obtint en une heure au soleil pour 100 de feuilles, 108 d’eau.

Il est donc évident que c’est la chaleur lumineuse qui détermine le phénomène d’évaporation comme elle détermine la décomposition de l’acide carbonique par les feuilles, et il était curieux de voir si en poursuivant la comparaison on arriverait à reconnaître que les rayons lumineux efficaces pour déterminer la décomposition de l’acide carbonique le sont aussi pour favoriser l’évaporation.

On sait que les rayons les plus éclatants, les rayons jaunes et rouges sont ceux qui agissent avec le plus d’énergie sur les feuilles pour déterminer la décomposition de l’acide carbonique.

On s’en assure aisément en plaçant une plante marécageuse dans une dissolution légère d’acide carbonique, puis en entourant le flacon muni d’un tube de dégagement, d’un manchon renfermant diverses dissolutions colorées[1], on reconnaît que les rayons verts et bleus qui noircissent si rapidement les papiers photographiques n’agissent que très-faiblement sur les feuilles et n’occasionnent qu’un très-léger dégagement d’oxygène, tandis qu’au contraire les rayons jaunes et rouges sans action sur les papiers photographiques activent singulièrement la décomposition de l’acide carbonique. Or ce sont précisément ces mêmes rayons qui favorisent l’évaporation de l’eau par les feuilles, ce qu’il est facile de reconnaître à l’aide de l’appareil représenté dans la fig. 3 ; on voit que le tube renfermant la feuille en expérience est placé dans une cloche à gaz remplie d’une dissolution colorée facile à remplacer, de telle sorte que la feuille est successivement éclairée par une lumière rouge jaune, etc., on a trouvé que l’efficacité des rayons pour déterminer l’évaporation les range dans l’ordre suivant : jaunes, rouges, bleus et verts ; quand le manchon renfermait une dissolution jaune on a obtenu une quantité d’eau double de celle qui a été recueillie quand une dissolution verte entourait la feuille.

On observe encore des résultats analogues en opérant à l’aide des rayons solaires séparés au moyen d’un prisme de verre. L’expérience était disposée comme l’indique la figure 4. Les rayons réfléchis dans une direction constante à l’aide de l’héliostat qu’on aperçoit au travers de la fenêtre entr’ouverte, arrivaient au fond d’une pièce sombre[2], tombaient sur un prisme et se divisaient en un spectre bien étalé, un des tubes en expérience était maintenu dans la lumière rouge orangée, tandis que l’autre restait dans la lumière verte et bleue ; les résultats furent dans le même sens que les précédents, c’est-à-dire qu’on obtint plus d’eau évaporée dans la lumière jaune que dans la bleue, mais les quantités d’eau recueillies furent très-faibles, parce que la lumière était très-affaiblie par sa réflexion sur le miroir de l’héliostat et par son passage au travers du prisme.

Quoi qu’il en soit, le résultat était acquis, les rayons efficaces, pour déterminer la décomposition de l’acide carbonique, sont aussi ceux qui favorisent l’évaporation de l’eau par les feuilles, et deux des phénomènes les plus importants de la vie végétale paraissent avoir entre eux une liaison dont la nature est encore inconnue.

Ce phénomène d’évaporation joue en effet un rôle capital dans le transport des principes immédiats d’un point du végétal à l’autre. Prenons un exemple simple et que chacun pourra suivre sans difficultés. Au mois de juillet, quand le blé, l’avoine ou l’orge commencent à mûrir, on voit jaunir les vieilles feuilles du bas, tandis que les plus jeunes, fixées à la partie supérieure de la tige, sont encore vertes et en pleine végétation. Si on examine ces vieilles feuilles jaunies, on reconnaît qu’elles ne renferment plus ni glucose, ni sucre, ni amidon, ni matières albuminoïdes ; tous les principes que l’analyse y décelait un mois auparavant ont disparu, ils se sont acheminés vers les feuilles supérieures qui les recueillent, jusqu’au moment où, la graine commençant à se former, ils quittent encore les feuilles supérieures entraînant ceux que ces feuilles supérieures ont elles-mêmes élaborés ; une accumulation s’opère dans la graine, qui devient le réceptacle de tous les principes immédiats que la plante a formés pendant la durée de la végétation. Ce transport des principes immédiats des feuilles du bas, vers les feuilles supérieures, est dû au phénomène l’évaporation qui vient d’être décrit. Il est facile de reconnaître, en effet, que les jeunes feuilles évaporent beaucoup plus d’eau que les vieilles, et de plus, comme on démontre aisément que les matières dissoutes dans un liquide sont entraînées avec lui vers les parties d’un appareil où l’évaporation est la plus active, on en conclut que le transport des principes immédiats qui se produit pendant la maturation des plantes est déterminé par le mouvement de l’eau des vieilles feuilles vers les jeunes. Comme, enfin il a été démontré plus haut que l’évaporation est due à l’intensité lumineuse, on voit que la lumière exerce, sur les phénomènes de la végétation, une importance capitale et que deux années chaudes peuvent être inégalement favorables à la végétation, si elles sont inégalement lumineuses.

Mon excellent ami, M. le baron Thénard, m’a cité un proverbe bourguignon qui justifie les conclusions précédentes : « La bise, disent les vignerons, est la mère nourricière des coteaux » Or, la bise est le vent du nord-est, vent froid mais sec, qui chasse les nuages et laisse, à la lumière, tout son éclat ! C’est encore à lui que je dois l’observation suivante :

En 1865, la Bourgogne fit du vin d’excellente qualité, en 1866 il était à peine potable ; en relevant

  1. Voyez, pour plus de détails, mon Cours de chimie agricole (Hachette et Cie, 1873), d’où j’extrais les gravures jointes à cet article.
  2. Pendant l’expérience les rayons pénétraient dans la pièce au travers d’un orifice percé dans un volet ; on a représenté dans la figure la fenêtre ouverte pour laisser voir l’héliostat.