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N° 11 — 16 AOÛT 1873
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LA NATURE.
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LES EXPLORATIONS AU SPITZBERG

Dans les premiers jours de l’automne 1872 le navire Pépita, qui avait pu s’échapper du Spitzberg, apporta à Tromsoe de tristes nouvelles de cet archipel si extraordinaire. Les glaces s’étant prématurément refermées à la suite de gelées précoces, qui se sont du reste fait sentir jusqu’au nord de l’Angleterre au commencement de septembre, un grand nombre de pêcheurs norwégiens se trouvaient cernés dans ces hautes latitudes, et étaient exposés à mourir de faim, de froid, de misère. En même temps, le succès de la troisième expédition scientifique, dirigée par le professeur Nordenskiold, se trouvait compromis. Le navire Polhem, commandé par le capitaine Palander de la marine royale de Norwége, était obligé d’hiverner à Mossel-Bay, avec le Gladan et l’Onkel-Adam.

D’autres navires se trouvaient au cap Gray, dans le voisinage de Mossel-Bay et probablement dans l’Isfiord ou fiord de la glace, dont le nom vient malheureusement d’acquérir une triste célébrité à la suite d’une catastrophe épouvantable, qui a vivement attiré l’attention publique.

Aussitôt que les nouvelles apportées par la Pépita furent parvenues, le gouvernement norwégien donna ordre, à l’Albert et à l’Ours-Blanc (Isbjorn), de prendre la mer et de porter des secours aux malheureux séquestrés. En même temps la Société de géographie, de Berne, aidée par un généreux patron des expéditions arctiques, expédia, à ses frais, un troisième navire appelé le Groënland. Mais tous les efforts furent infructueux. La banquise se montrait impénétrable. Les trois navires durent successivement revenir en Europe, renonçant l’un après l’autre à lutter contre les vents, les glaces, l’obscurité, en un mot toutes les ténèbres d’un hiver arctique.

Ce retour s’accomplit au milieu d’une anxiété d’autant plus grande, qu’après un hiver remarquable par sa douceur, on eut à essuyer un printemps qui ne fut pas moins exceptionnel par sa rigueur intempestive ; de telles circonstances prolongèrent fatalement les inquiétudes publiques dans toute la Scandinavie.

Les Anglais n’attendirent pas les nouvelles du Spitzberg pour se diriger vers les lieux où tant de souffrances étaient sans doute à alléger. M. Leigh-Smith fréta un transport qu’il expédia à destination de Mossel-Bay, dans les derniers jours de mars, et lui-même se mit en route quelques jours plus tard, sur le yacht à vapeur la Diana. Vers le commencement de juillet, on apprit que le navire Onkel-Adam, venait d’arriver à Tromsoe avec des dépêches, du capitaine Palander, pour le ministre de la guerre, et de M. Nordenskiold, pour M. Oscar Dickson, le riche négociant de Gothembourg, qui rivalise de zèle avec M. Grinnell, de New-York, et qui a déjà fait d’immenses sacrifices pour encourager ces magnifiques explorations.

Le capitaine de l’Onkel-Adam lança des télégrammes à Stockholm, à Gothembourg et à l’Académie des sciences de Paris, à laquelle M. Nordenskiold se réserve de communiquer le résultat de ses observations. Ce n’est pas la première fois qu’il agit de la sorte, car en 1861 il a déjà communiqué à M. Daubrée, le savant professeur du Muséum, le résultat de sa quatrième exploration arctique faite dans les glaciers du Groenland. Jusqu’à ce jour les savants scandinaves comptaient sur la bonne foi des savants allemands pour leur servir d’intermédiaire avec le reste du continent européen.

Ainsi l’immortel Hansteen, quoique membre correspondant de l’Académie des sciences pendant un demi-siècle, n’a pas envoyé une seule communication à cette savante assemblée. L’accueil fait cette fois aux savants scandinaves, prouve qu’ils n’ont point eu tort d’abandonner leurs traducteurs qui trop souvent donnaient raison au fameux proverbe : « Traduttore traditore. »

Enfin les journaux de Rome, recevaient des télégrammes adressés au nom de M. Parent, lieutenant de vaisseau de la marine italienne, qui a accompagné M. Nordenskiold dans sa belle expédition. M. Parent est le fils d’un des députés qui représentent la Savoie, à l’Assemblée nationale de Versailles ; engagé dans la marine avant l’annexion, il n’a pas cru devoir abandonner ses camarades pour changer de patrie.

Quelques jours après, le Gladan arrivait à Tromsoe ; après s’être ravitaillé, ce navire s’est rendu à Gothembourg, son port d’armement. Il est chargé d’un grand nombre de curiosités, dont certaines viendront à Paris.

M. Nordenskiold, le capitaine Palander et le lieutenant Parent ne sont point attendus à Tromsoe avant une huitaine de jours, car le Polhem ne veut revenir en Europe qu’après avoir épuisé toutes ses provisions, et il ne quittera pas ces hautes régions sans tenter encore une fois de passer de l’autre côté de la banquise dont il est si rapproché.

L’arrivée du transport de M. Leigh-Smith et du navire la Diana, aura peut-être même changé leurs dispositions, quoique la continuation des pluies donne lieu de craindre que la barrière des glaces qui se trouve au nord du Spitzberg, n’ait point été entamée par les rayons du soleil, et que les explorateurs l’aient trouvée aussi difficile à franchir qu’au printemps.

Les renseignements que l’Onkel-Adam et le Gladan ont apportés, ont trait à la météorologie, au magnétisme terrestre, aux aurores boréales, à la vie des animaux marins et des plantes marines qui sont aussi riches, aussi plantureuses en hiver qu’en été. En effet, les froids terribles qui rendent l’habitation du Spitzberg si difficile, n’affectent en quelque sorte que la pellicule de l’Océan.

En attendant que ces trésors soient entre les mains des diverses nations du midi de l’Europe il est opportun de jeter un coup d’œil d’ensemble sur ce groupe d’îles singulières, dont la Norwége se serait emparée l’an dernier si la jalousie des autres puis-

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