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LA NATURE.

beaux pays, que dorent les feux d’un soleil ardent, inconnu dans nos climats ? Que de peines, que de labeurs, ont endurés les voyageurs pendant trois années, pour rapporter l’histoire complète d’une importante partie de l’Indo-Chine, mais aussi quelle joie pour ces infatigables explorateurs, d’être revenus sous le toit hospitalier de la patrie, et de décrire à leurs concitoyens les étonnantes merveilles qu’ils ont visitées !

Malheureusement, M. Garnier est obligé de nous citer, de temps à autre, des faits qui prouvent une fois de plus combien la France est lente à étendre au dehors ses relations. Nous en reproduirons un qui nous a paru saillant : « Muong-Lin, dit M. Garnier, est un grand village, entouré de rizières très-bien établies, où se tient tous les cinq jours un marché assez considérable. La valeur relativement élevée des denrées indique des communications commerciales très-importantes. De nombreuses étoffes anglaises apparaissent dans les étalages. On ne peut s’empêcher d’admirer l’habileté et le sens pratique de nos voisins en fait d’exportations. Ils ont créé pour l’Indo-Chine une fabrication spéciale… Quand aurons-nous en France, assez de prévoyance, assez de souci des intérêts à venir, pour essayer d’implanter aussi nos produis à l’étranger, au lieu de considérer l’exportation comme l’exutoire de tous les rebuts de nos fabriques ? »

Comme nous le disions plus haut, M. F. Garnier a pris la résolution d’entreprendre un second voyage, dans le but de rechercher dans le Thibet l’origine des grands fleuves qui arrosent l’Inde et l’Indo-Chine. La géographie de ces contrées a donné lieu à de vives discussions, à des polémiques même passionnées, qui dénotent l’importance du problème que le vaillant explorateur de l’Indo-Chine veut résoudre. Les difficultés sont considérables, mais M. Garnier, déjà initié aux obstacles à vaincre, espère réussir avec le temps, la patience et le courage. Fort de l’appui du ministre de la marine et de la Société de géographie, qui lui assureront les ressources nécessaires à son exploration, il commencera par séjourner à Han-Kéou, au centre de la Chine. Après avoir étudié l’hydrographie des admirables rapides du fleuve Bleu, il s’engagera vers sa grande exploration. Faisons des vœux pour ce voyageur, avec tous ceux que préoccupent les intérêts de la science et l’honneur de notre pays[1].


LES AIMANTS
TRAVAUX DE M. JAMIN.

L’action exercée par la pierre d’aimant sur la limaille de fer, action qui se manifeste par l’adhérence de celle-ci, est un phénomène qui, depuis qu’il est connu, a appelé l’attention des observateurs qui ont cherché à étudier les lois auxquelles elle obéit. Mais cette action même, est restée sans application jusqu’à l’époque actuelle. C’est une autre propriété des corps aimantés, celle de se diriger suivant une ligne déterminée en chaque point du globe, qui les fait employer dans les boussoles : nous ne citerons que pour mémoire les électro-aimants employés dans les télégraphes et les moteurs électriques, et qui se rattachent aux phénomènes produits par les courants plutôt qu’au magnétisme, puisque l’on sépare encore les effets produits par ces deux agents malgré l’assimilation qu’en a faite Ampère.

Mais si les attractions dues aux barreaux aimantés sont restées à l’état d’expériences de cours et n’ont point donné lieu à des applications pratiques, ce n’est pas à dire que ces barreaux ne soient fréquemment employés ; seulement c’est une tout autre propriété que l’on met en jeu, celle de développer des courants d’induction dans des circuits métalliques voisins : ces courants peuvent servir à faire marcher des télégraphes, à décomposer des dissolutions métalliques, à produire tous les effets des courants des piles ; mais c’est surtout à obtenir la lumière électrique qu’ils servent ; nous rappellerons, à cet égard, les belles machines de la compagnie l’Alliance qui sont appliquées, entre autres, aux phares de la Hève. Il est facile de concevoir que les effets produits sont d’autant plus intenses que les aimants employés sont plus forts.

Cette question des courants d’induction produits par des aimants n’est pas celle dont nous voulons nous occuper aujourd’hui : nous voulions montrer seulement l’intérêt qui s’attache à la production d’aimants énergiques.

Jusqu’à ces derniers temps, la fabrication des aimants semblait abandonnée à la routine, et les divers pays de l’Europe se trouvaient tributaires de la ville de Harlem, où l’on s’adressait invariablement lorsque l’on voulait avoir un aimant puissant. Malgré les belles recherches de Coulomb, de Biot… rien ne déterminait les conditions dans lesquelles on devait se placer pour la forme à donner à l’aimant, les dimensions qu’il devait avoir, en vue d’une puissance déterminée ; on savait seulement qu’un bon aimant portait environ dix fois son poids. Quant au mode d’aimantation, c’était une question de tour de main.

Depuis quelque temps les travaux sur le magnétisme sont revenus à l’ordre du jour et plusieurs mémoires ont été adressés à l’Académie des sciences sur ce sujet : parmi ces recherches, il importe de citer spécialement celles de M. Jamin, qui l’ont conduit à la production d’aimants puissants.

Ce savant, dont le nom est également connu du public parisien comme celui d’un habile professeur, avait établi un appareil destiné à rechercher le mode de distribution du magnétisme : il évaluait l’intensité du magnétisme en un point d’un barreau, en mesurant la force nécessaire pour en arracher une petite sphère de fer doux. Armé de ce moyen d’investigation,

  1. Voyez, pour plus amples détails, le Tour du Monde, 1873, page 366.