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LA NATURE.

blème de la botanique martiale ? On peut remarquer en effet qu’un observateur placé sur la Lune ou même sur Vénus, verrait nos continents fortement teintés de la nuance verte. Mais en automne, il verrait cette nuance s’évanouir sous les latitudes où les arbres perdent leurs feuilles ; il verrait les champs variés de nuances, jusqu’au jaune d’or, et ensuite la neige couvrir les campagnes pendant des mois entiers. Sur Mars, la coloration rouge est constante, et on la remarque sous toutes ses latitudes, aussi bien pendant leur hiver que pendant leur été. Elle varie seulement suivant la transparence de son atmosphère et de la nôtre. Cela n’empêche pas cependant que la végétation martiale ne doive entrer pour une part dans cette nuance générale, qui est due dans son ensemble à la couleur même des terrains de cette planète. Mais ces terrains ne peuvent pas être dénudés partout comme les sables du Sahara. Ils sont très probablement recouverts d’une végétation quelconque et comme ce n’est pas l’intérieur des terrains mais leur surface que nous voyons, il faut que le revêtement de cette surface, que la végétation, quelle qu’elle soit, ait pour couleur dominante, la couleur rouge, puisque toutes les terres de Mars offrent ce curieux aspect.

Nous parlons des végétaux de Mars, nous parlons des neiges de ses pôles, nous parlons de ses mers, de son atmosphère et de ses nuages, comme si nous les avions vus. Sommes-nous autorisés à créer toutes ces analogies ? En réalité, nous ne voyons que des taches rouges, vertes et blanches, sur le petit disque de cette planète : le rouge est-il bien de la terre ferme, le vert est-il bien de l’eau, le blanc est-il bien de la neige ?

Oui, maintenant nous pouvons l’affirmer. Pendant deux siècles on s’est mépris sur les taches de la lune que l’on prenait pour des mers, tandis que ce ne sont que d’immobiles déserts, plages désolées où nulle brise ne souffle jamais et que nul mouvement ne saurait animer. Mais nous ne sommes pas dans le même cas pour l’interprétation des taches de Mars. Voici pourquoi :

L’aspect invariable de la Lune ne nous montre jamais le plus modeste nuage à sa surface, et les occultations d’étoiles ne décèlent pas la plus légère trace d’atmosphère. L’aspect de Mars, au contraire, varie sans cesse. Des taches blanches se déplacent sur son disque, modifiant trop souvent sa configuration apparente. Ces taches ne peuvent donc être que des nuages. Les taches blanches de ses pôles augmentent ou diminuent suivant les saisons, exactement comme nos glaces circumpolaires terrestres, qui offriraient précisément le même aspect et les mêmes variations à un observateur placé sur Vénus. Donc ces taches blanches polaires martiales sont, comme les nôtres, de l’eau glacée. Chaque hémisphère de Mars est plus difficile à observer pendant son hiver que pendant son été, étant souvent couvert de nuages sur sa plus grande partie : c’est précisément aussi ce qui se présenterait pour la terre à notre observateur de Vénus ; tout le monde sait que le ciel est plus souvent couvert en hiver qu’en été, et qu’il y a des semaines entières où les brouillards ou les nuages nous cachent à la vue du ciel. Mais les nuages de Mars, à quelle cause sont-ils dus ? Évidemment, comme les nôtres, à l’évaporation de l’eau. Et les glaces ? Évidemment aussi à la congélation de l’eau. Mais est-ce la même eau qu’ici ? Il y a quelques années, cette question fût restée insoluble. Aujourd’hui il est possible de la résoudre.

Les merveilleux procédés de la spectroscopie ont été appliqués à l’étude des planètes, principalement par le savant physicien anglais Huggins[1].

Les planètes réfléchissent la lumière qu’elles reçoivent du soleil ; lorsqu’on examine le spectre de leur lumière, on retrouve le spectre solaire, comme s’il était réfléchi par un miroir. En dirigeant le spectroscope sur Mars, on constate d’abord dans les rayons lumineux émis par cette planète une identité parfaite avec ceux qui émanent de l’astre central de notre système. Mais en employant des méthodes plus minutieuses, M. Huggins trouva pendant les dernières oppositions de la planète, que le spectre de Mars est traversé, dans la zone orangée, par un groupe de raies noires coïncidant avec les lignes qui apparaissent dans le spectre solaire au coucher du soleil, quand la lumière de cet astre traverse les couches les plus denses de notre atmosphère. Or ces raies révélatrices sont-elles causées par notre propre atmosphère ? Pour le savoir, on dirigea le spectroscope vers la lune, qui se trouvait alors plus près de l’horizon que la planète. Si les raies dont il s’agit étaient causées par notre atmosphère, elles auraient dû se montrer dans le spectre lunaire comme dans celui de Mars, et même avec plus d’intensité. Or elles n’y furent même pas visibles. Donc elles appartenaient évidemment à l’atmosphère de Mars.

L’atmosphère de Mars ajoute donc ces caractères particuliers à ceux du spectre solaire, caractères établissant que cette atmosphère est analogue à la nôtre. Mais quelle est la substance atmosphérique qui produit ces lignes accusatrices ? En examinant leur position, on constate qu’elles ne sont pas dues à la présence de l’oxygène, de l’azote ou de l’acide carbonique, mais à la vapeur d’eau. Donc il y a de la vapeur d’eau dans l’atmosphère de Mars, comme dans la nôtre. Les taches vertes de ce globe sont bien des mers, des étendues d’eau analogues aux eaux terrestres. Les nuages sont bien des vésicules d’eau comme celles de nos brouillards, les neiges sont de l’eau solidifiée par le froid. Il y a plus, cette eau révélée par le spectroscope étant de même composition chimique que la nôtre, nous savons qu’il y a là aussi de l’oxygène et de l’hydrogène.

  1. Nous avons appris avec plaisir, que la lecture de nos ouvrages, la Pluralité des mondes et les Mondes imaginaires, a spécialement engagé cet illustre physicien à appliquer la spectroscopie à l’analyse des atmosphères planétaires et de leur constitution chimique. (Correspondance anglaise du Cosmos, octobre 1864, p. 375 et 1867 passim.)