Page:La Nature, 1873.djvu/154

Cette page a été validée par deux contributeurs.
146
LA NATURE.

sa plus grande proximité, son hémisphère éclairé étant naturellement toujours du côté du soleil, nous ne voyons que son hémisphère obscur, bordé d’un mince croissant (ou pour mieux dire, nous ne le voyons pas). Il en résulte que sa surface est plus difficile à observer que celle de Mars. Ainsi, c’est Mars qui l’emporte, et c’est de toute la famille du soleil, le personnage avec lequel nous ferons le plus tôt connaissance.

Remarquons à ce propos que la Terre est pour Mars dans le même cas que Vénus pour nous, et pour Vénus dans le même cas que Mars pour nous. Nous connaîtrons plus tôt la géographie de Mars qu’il ne connaîtra la nôtre, et tandis que nous ignorons encore celle de Vénus, sans doute les astronomes de Vénus connaissent maintenant parfaitement la géographie de la terre.

La géographie de Mars, disons nous, ou, pour parler plus exactement, l’aréographie, a déjà pu être étudiée et dessinée. Ce qui frappe le plus au premier abord dans l’examen de l’ensemble de la planète, c’est que ses pôles sont marqués comme ceux de la terre par deux zones blanches, par deux calottes de neige. Le pôle nord comme le pôle sud sont même parfois si brillants qu’ils paraissent dépasser le bord de la planète, par suite de cet effet d’irradiation qui nous montre un cercle blanc plus grand qu’un cercle noir de mêmes dimensions. Ces glaces varient d’étendue ; elles s’amoncellent et s’étendent autour de chaque pôle pendant son hiver, tandis qu’elles fondent et se retirent pendant l’été. Dans leur ensemble elles s’étendent plus loin que les nôtres, et parfois descendent jusqu’au 45e degré de latitude, c’est à dire jusqu’aux contrées qui correspondent à l’emplacement de la France sur la terre.

Ce premier aspect de la planète lui donne une analogie avec la nôtre, comme division de ses climats en zones glaciales, tempérées et torrides. L’examen de sa topographie montre au contraire une dissemblance assez caractéristique entre la configuration de ce globe et celle du nôtre.

En effet, sur la terre, il y a plus de mers que de continents. Les trois quarts du globe sont couverts d’eau. La terre ferme est principalement composée de trois vastes îles, de trois continents, l’un s’étendant de long en large, de l’ouest à l’est, et formant l’Europe et l’Asie, le deuxième, placé au sud de l’Europe, comme un V aux angles arrondis, et formant l’Afrique ; le troisième s’étendant sur l’autre face du globe, de haut en bas, du nord au sud, et formant les deux grandes terres d’Amérique simulant aussi deux V superposés. Si l’on ajoute le petit continent d’Australie placé au sud de l’Asie, on a l’ensemble de la configuration du globe.

Il n’en est point de même à la surface de Mars. Il y a plus de terres que de mers, et au lieu d’être des îles émergées du sein de l’élément liquide, les continents semblent plutôt réduire les océans à de simples mers intérieures, à de véritables méditerranées. Il n’y a point là d’Atlantique ni de Pacifique, et le tour du monde peut presque s’y faire à pied sec. Les mers sont des méditerranées, découpées en golfes variés, prolongés çà et là en un grand nombre de bras s’élançant comme notre mer Rouge à travers la terre ferme : tel est le premier caractère de l’aréographie.

Le second, qui suffirait aussi pour faire reconnaître Mars d’assez loin, c’est que les mers sont étendues dans l’hémisphère sud, entre l’équateur et le pôle, d’une part ; d’autre part, en moins grande quantité dans l’hémisphère nord ; et que ces mers australes et septentrionales sont reliées entre elles par un filet d’eau. Il y a même sur la surface entière de Mars trois filets d’eau allant du sud au nord ; mais comme ils sont fort éloignés l’un de l’autre, on ne peut guère en voir qu’un à la fois d’un même côté du globe martial. Ces mers et cette passe qui les réunit forment un caractère très-distinctif de la planète, et il est rare qu’on ne l’aperçoive pas en mettant l’œil au télescope.

Les continents de Mars sont teintés d’une nuance rouge ocreuse, et ses mers se présentent à nous sous l’aspect de taches d’un gris vert accentuées encore par un effet de contraste dû à la couleur des continents. La couleur de l’eau martiale paraît donc être la même que celle de l’eau terrestre. Quant aux terres, pourquoi sont-elles rouges ? On avait d’abord supposé que cette teinte pourrait être due à l’atmosphère de ce monde. De ce que notre air est bleu, rien ne prouve en effet que celui des autres planètes doive avoir la même coloration. Il serait donc possible de supposer celui de Mars rouge. Les poëtes de ce pays célébreraient cette nuance ardente au lieu de chanter le tendre azur de nos cieux ; au lieu de diamants allumés à la voûte azurée, les étoiles y seraient des feux d’or, flamboyant dans l’écarlate ; les nuages blancs suspendus dans ce ciel rouge, les splendeurs des couchers de soleil centuplées, ne laisseraient pas de produire des effets non moins remarquables que ceux que nous admirons sur notre globe sublunaire.

Mais il n’en est rien. La coloration de Mars n’est pas due à son atmosphère, car, quoique ce voile s’étende sur toute la planète, ses mers ni ses neiges polaires ne subissent pas l’influence de cette coloration, et Arago, en prouvant que les bords de la planète sont moins colorés que le centre du disque, a montré que cette coloration n’est pas due à l’atmosphère ; car dans ce cas, les rayons réfléchis par les bords de la planètes pour venir à nous, ayant plus d’air à traverser que ceux qui nous viennent du centre, seraient au contraire plus colorés que ceux-ci.

Cette couleur caractéristique de Mars, visible à l’œil nu, et qui sans doute est cause de la personnification guerrière dont les anciens ont gratifié cette planète, serait-elle due à la couleur de l’herbe et des végétaux qui doivent couvrir ses campagnes ? Aurait-on là-bas des prairies rouges, des forêts rouges, des champs rouges ? Nos bois aux douces ombres silencieuses y seraient-ils remplacés par des arbres au feuillage rubicond, et nos coquelicots écarlates seraient-ils l’em-