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N° 10 — 9 AOÛT 1873
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LA NATURE.

LA PLANÈTE MARS
D’APRÈS LES DERNIÈRES OBSERVATIONS ASTRONOMIQUES.
ÉTUDE DE SA GÉOGRAPHIE ET DE SES CONDITIONS D’HABITABILITÉ.


La période d’observation qui vient de s’écouler, pour la planète Mars[1], m’a permis de compléter sur cette planète des études commencées pendant les oppositions de 1869 et 1867. C’est le 27 avril dernier qu’elle est passée juste derrière la Terre, et que sa lumière était la plus vive. Dès les premières observations, j’ai constaté qu’elle nous présentait son pôle nord, très-incliné vers nous et marqué par une tache blanche, peu étendue, formant un point brillant à la partie inférieure du disque (image renversée dans la lunette astronomique). Les taches ocreuses qui représentent les continents, et les taches gris verdâtre qui représentent les mers se dessinaient sous une forme plus ou moins accentuée, selon la transparence de l’air et selon les heures du soir.

Aspect de la planète Mars en juin 1873. (D’après un croquis de M. C. Flammarion.)

Pour que l’observation de Mars puisse donner de bons résultats, deux conditions sont requises, outre sa proximité relative à l’époque de son opposition. Il faut que l’atmosphère de la Terre soit pure dans le lieu de l’observation, et il faut aussi que l’atmosphère de Mars ne soit pas chargée. En d’autres termes, il faut que le temps soit au beau pour les habitants de cette planète. En effet, Mars est entouré comme la Terre d’une atmosphère aérienne, qui de temps en temps se couvre de nuages aussi bien que la nôtre. Or les nuages, en se répandant au-dessus des continents et des mers, forment un voile blanc qui nous les cache totalement ou partiellement. L’étude de la surface de Mars est, dans ce cas, difficile ou même impossible. Il serait aussi stérile de chercher à distinguer cette surface, quand le ciel de Mars est couvert, que de chercher à distinguer les villages, rivières, routes ou chemins de fer de la France, lorsqu’on la traverse en ballon au-dessus d’une opaque couche de nuages. On voit par là que l’observation de cette planète n’est pas aussi facile qu’on le supposerait à première vue. De plus l’atmosphère terrestre la plus pure, la plus transparente, est ordinairement traversée de fleuves d’air, chauds ou froids, coulant en différentes directions au-dessus de nos têtes, si bien que par la nuit la plus calme, il est presque impossible d’arriver à faire un dessin passable d’une planète telle que Mars, l’image vue dans la lunette étant ondulante, tremblante et diffuse. Je suis persuadé que si l’on comptait rigoureusement les heures pendant lesquelles l’observation de cette planète a été parfaite, quoique sa période d’opposition arrive tous les deux ans et que les lunettes soient inventées depuis plus de deux siècles et demi, on formerait peut-être à peine, une semaine d’observation constante.

Malgré ces fâcheuses conditions, la planète de la guerre est la mieux connue de toutes (l’art infâme qu’elle symbolise a été, il est vrai, le plus cultivé et le plus honoré sur la terre, mais cette innocente planète n’en est pas responsable). Seule la lune, grâce à sa proximité et à son absence d’atmosphère et de nuages, a été l’objet d’une étude plus particulière et plus assidue, de telle sorte que sa géographie, ou pour parler plus exactement, sa sélénographie, est aujourd’hui complètement déterminée. L’hémisphère lunaire qui nous regarde est mieux connu que la terre même ; ses vastes plaines désertes sont estimées à un hectare près ; ses montagnes et ses cratères sont mesurés à dix mètres près, tandis qu’il y a, sur la terre, 30 millions de kilomètres carrés (60 fois l’étendue de la France), que le pied de l’homme n’a jamais foulés, que son regard n’a jamais visités. Mais après la lune, c’est Mars qui est le mieux connu de tous les astres. Aucune planète ne peut lui être comparée, Jupiter, la plus grosse, Saturne, la plus curieuse, toutes deux beaucoup plus importantes que lui et plus faciles à observer dans leur ensemble à cause de leurs dimensions, sont enveloppées d’une atmosphère constamment chargée de nuages, de sorte que nous ne voyons jamais leur surface. Uranus et Neptune ne sont que des points brillants. Mercure est presque toujours éclipsé comme les courtisans dans les rayonnements du soleil ; Vénus, Vénus seule, pourrait être comparée à Mars : elle est aussi grosse que la terre, et par conséquent deux fois plus large que Mars en diamètre, elle est plus proche de nous et peut même venir à moins de dix millions de lieues d’ici. Mais elle a un défaut, c’est de graviter entre le soleil et nous, de sorte qu’à

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  1. Voy. Le Ciel au mois de juin 1873