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LA NATURE.

d’octobre, on a compté vingt et un jours pluvieux. La perforation mécanique à Airolo empruntera sa force motrice aux eaux de la Tremola ; on obtiendra une force de 600 chevaux, au moyen de 165 mètres de chute.

Malgré les intempéries de l’air et la résistance des massifs géologiques, un jour viendra où le travail intelligent aura primé cette force inerte des éléments ; le voyageur, commodément assis dans un wagon, s’engagera comme à travers une taupinière, dans le sein même d’un des plus énormes géants du massif alpestre !

Gaston Tissandier.

LE SECOND TUNNEL SOUS LA TAMISE

Avant d’avoir parcouru la Tamise, je ne m’expliquais pas pourquoi les Anglais avaient creusé un tunnel sous son lit au lieu d’en réunir les rives par un pont ; mais, quand j’eus vu de mes yeux le nombre prodigieux de navires à la haute mâture qui sillonnent incessamment le fleuve depuis le pont de Londres jusqu’à la mer, je compris que la construction d’un pont tournant était impossible dans cette partie de la Tamise, car il aurait entravé la navigation sans améliorer sensiblement la viabilité terrestre, puisqu’il aurait dû rester presque toujours ouvert.

Aussi, les premiers projets de voie sous-fluviale remontent-ils loin. En 1815, Dodd proposa de construire un tunnel sous la Tamise entre Gravesend et Tilbury, les travaux furent entrepris mais promptement interrompus. En 1817, on en commencera un autre, à Londres même, entre Rotherhithe et Limehouse, on y travailla jusqu’en 1823 et, après six ans d’efforts et de dépenses, il fallut l’abandonner. Sans se décourager, Isambard Brunel se disposa, la même année 1823, à creuser une voie sous-fluviale entre Wapping et Rotherhithe. Les travaux en furent commencés en 1825 ; tout le monde sait que les difficultés furent inouïes et que le fécond esprit de Brunel réussit à toutes les parer. Après quatre inondations moins graves, les eaux s’engouffrèrent une cinquième fois dans le tunnel en construction, au mois d’août 1828, en noyant les ouvriers. Le creusement fut suspendu par cette catastrophe, mais en janvier 1835 le tenace Brunel le reprit et cette fois le mena à bien. Le tunnel fut inauguré le 23 mars 1843. Il a 366 mètres de longueur, 11m,60 de largeur, et est à 19m,50 de profondeur au-dessous du sol. Il est divisé en deux galeries accouplées, de 6m,85 de hauteur, réunies par des arcades mitoyennes.

Je l’ai visité pour la première fois il y a quelques années. Le tunnel ne pouvait être traversé que par les piétons, et l’une seulement des deux galeries jumelles leur était réservée, l’autre était divisée en boutiques auxquelles les arcades de communication des deux voies contigües servaient de devanture ; le gaz éclairait ce passage, pour lequel il n’y avait ni jour ni nuit. Tous les étrangers affluaient dans ce bazar sous-fluvial.

J’ai de nouveau traversé le tunnel récemment. Les piétons n’y passent plus, les boutiques en ont été enlevées, le gaz est éteint ; est-ce une destruction ? Non, c’est un progrès. Le tunnel a été acheté, en 1866, par la London Brighton and south Coast railway Company pour permettre à son réseau d’aller, par dessous la Tamise, se souder à celui de la Great Eastern railway Company ; on a établi les pentes, les tranchées, les souterrains nécessaires pour amener les wagons jusqu’au passage sous-fluvial ; chacune de ces deux galeries, réservées jadis, l’une aux passants, l’autre aux marchands, est maintenant occupée par une voie de fer. Les voyageurs peuvent toujours passer sous la Tamise pour un penny ; mais, depuis 1870, c’est en wagon qu’ils vont, en deux minutes, de Wapping à Rotherhithe ou de Rotherhithe à Wapping.

Au point de vue de l’art de l’ingénieur, ce tunnel de Brunel est une œuvre magnifique, mais, financièrement, il a été la cause d’un épouvantable désastre. Avant les travaux d’appropriation au passage des trains, il avait déjà coûté 15 350 000 francs et ne rapportait pas un demi pour cent du capital dépensé. Aussi, pendant bien longtemps, ne songea-t-on plus à faire de nouvelles voies sous-fluviales. Cependant les procédés du génie civil se perfectionnaient rapidement, et un nouveau tunnel a pu être entrepris dans des conditions toutes différentes.

La construction du tunnel de Brunel avait duré dix-huit ans, celle du tunnel de Barlow fils a duré dix-huit mois tout compris, et les travaux de forage ont été faits en six mois. Le tunnel de Barlow fils coûte quatre cent mille francs, tandis que celui de Brunel a coûté plus de quinze millions.

Pour perforer le tunnel sous l’eau, on se sert d’un appareil imaginé par Brunel et nommé le bouclier ; c’est un court tube en tôle, du diamètre extérieur du souterrain, divisé, à sa partie antérieure, en cellules étanches à l’intérieur de chacune desquelles travaille un ouvrier. Par suite de cette disposition, si l’eau, filtrant à travers les terres, vient à jaillir par un point, pendant le creusement, elle peut seulement remplir la cellule correspondante, fermée à sa partie postérieure, et non pas inonder la galerie.

En arrière des cellules et au sein desquelles les terrassiers enlèvent les terres qui se présentent devant la face antérieure de ces compartiments, d’autres ouvriers établissent, à l’intérieur du tube de tôle, formant la partie arrière du bouclier, le revêtement du tunnel, destiné à empêcher l’éboulement des terres et l’irruption des eaux. Puis, lorsque les terrassiers ont excavé le terrain devant eux à l’aide de vis (ou de presses hydrauliques) s’appuyant contre le revêtement déjà construit, on fait glisser le bouclier jusqu’au nouveau front d’abatage du terrain, jusqu’à la partie qu’il s’agit d’enlever à nouveau, et l’on pose le revêtement de la courte section