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LA NATURE.

terre. Le plumage présente un fond brin ou noir tacheté ou strié de blanc ; toutes les parties inférieures du corps sont d’un blanc pur. Le mâle et la femelle se ressemblent, cette dernière est seulement un peu plus petite ; les jeunes, enfin, ont un plumage particulier et ne prennent la livrée des adultes qu’au commencement de la troisième année.

Pendant la nage, les Plongeons s’aident, tout à la fois de leurs ailes et de leurs puissantes pattes palmées ; ces dernières, au lieu d’agir d’avant en arrière, comme chez la plupart des Palmipèdes, se meuvent de côté et se croisent en diagonale. Sous l’impulsion de ces quatre avirons, ils fendent l’eau avec une telle rapidité que le bateau le plus léger monté par les plus vigoureux rameurs, ne peut les gagner de vitesse. La position très-reculée des membres postérieurs favorise le mouvement de bascule que les Plongeons exécutent au moment où ils disparaissent sous les eaux, soit pour guetter ou surprendre leur proie, soit pour se dérober aux poursuites du chasseur. Ce sont de tous les oiseaux aquatiques les plus difficiles à tirer : lorsqu’ils nagent, leur corps est souvent entièrement submergé et la tête seule apparaît de temps en temps ; lorsqu’ils plongent, ils le font avec une telle promptitude qu’on ne peut trouver le temps de viser ; le séjour sous l’eau peut se prolonger plusieurs minutes, et s’ils remontent à la surface, c’est pour y glisser avec la rapidité d’une flèche, et bientôt disparaître de nouveau.

Autant les Plongeons sont agiles dans les eaux, autant ils sont pesants et gauches sur la terre ferme ; la position reculée des membres inférieurs cesse alors d’être avantageuse. Pour avancer et se soutenir sur leurs pieds courts et situés à l’arrière de l’abdomen, ils sont obligés de se tenir debout et le corps dressé presque verticalement, à la manière des Manchots ; les cuisses étant très-déjetées sur les côtés, la progression ne peut s’effectuer sans un balancement latéral de tout le corps, analogue à celui qui accompagne la claudication : cette allure embarrassée est surtout frappante chez le Grand-Plongeon et lui a valu le nom de loon ou Boiteux qu’il porte en Laponie. En outre, le centre de gravité étant très-élevé, l’équilibre ne peut être maintenu qu’au prix des plus grands efforts ; aussi l’animal préfère-t-il souvent se traîner sur le ventre lorsqu’il veut gagner l’eau ou rejoindre son nid. Les Plongeons que l’on rencontre parfois sur le rivage se montrent pour la plupart tellement indolents, qu’ils restent étendus sur le sol lorsqu’on les approche et se laissent prendre à la main, plutôt que de se déterminer à fuir. Ainsi que l’a fait remarquer M. Hardy, ces oiseaux, sentent si bien leur impuissance lorsqu’ils sont à sec qu’ils n’approchent des côtes qu’alors que le vent vient de terre et que la mer est fort calme ; alors ils aiment à longer le rivage de très-près ; mais que le vent change et vienne du large, on les voit aussitôt prendre leur vol et gagner la haute mer : cet instinct explique pourquoi on ne trouve jamais de plongeons parmi les oiseaux de mer surpris par la tempête ou tués par les lames qui battent les rochers du rivage.

Bien que pourvus seulement d’ailes courtes et de faible surface, les Plongeons se montrent capables d’un vol encore assez élevé et assez soutenu ; c’est d’ailleurs en volant, qu’aux époques de leurs migrations, ils traversent une contrée pour se rendre dans une autre, et qu’ils se transportent parfois à l’intérieur même des terres et à une distance plus ou moins considérable des côtes. Lorsqu’ils se meuvent dans l’air, ils poussent généralement de grands cris qui s’entendent de très-loin ; s’ils rencontrent un oiseau de proie, ils s’abattent obliquement avec une étonnante rapidité et se rendent inaccessibles à leur ennemi en plongeant à plusieurs reprises.

La nourriture de ces Palmipèdes consiste principalement en menus poissons qu’ils poursuivent souvent jusqu’au fond de l’eau ; ils sont si ardents à cette chasse qu’il arrive assez fréquemment qu’ils se trouvent pris dans les filets des pêcheurs. À défaut de fretin, les Plongeons s’alimentent de frai, de crustacés ou d’insectes aquatiques.

Ces oiseaux sont monogames ; chaque paire niche séparément dans les anfractuosités des côtes désertes ou dans les îlot solitaires, quelquefois même à de grandes distances de la mer, sur le bord des lacs ou des étangs. Le nid, plat, composé de couches herbacées, est, enfoui parmi les joncs et les roseaux : il est toujours placé très-près du rivage afin que la mère n’ait, au sortir de l’eau, que très-peu à marcher pour l’atteindre. La ponte s’effectue au mois de juin, et ne produit habituellement que deux œufs oblongs, à fond brun olive marqué de points et de tâches de teinte plus foncée. Les mères défendent très-bravement leurs petits et lancent aux agresseurs de violents coups de leur robuste bec en forme de dague.

Les Plongeons habitent les régions arctiques des deux mondes, et chassent indifféremment dans la mer et dans les eaux douces. Vers le milieu de l’année, on les rencontre en troupes nombreuses sur la plupart des terres boréales, mais lorsque le froid devient un peu vif, ils descendent des glaces de la baie d’Hudson et du détroit de Davis, des grottes de cristal du Groënland, du Spitzberg et de la Nouvelle-Zemble, des côtes déchirées de la Laponie, ainsi que des récifs des îles Cherry et de l’Islande pour se transporter sous des climats plus hospitaliers ; ils se dirigent alors vers les fiords méridionaux de la Scandinavie, vers les îles Shetland, les îles Féroé, les Orcades, l’Écosse et les Hébrides. Lorsque l’hiver est très-rigoureux, les Plongeons continuent à émigrer vers le sud, et peuvent ainsi s’avancer jusque sur les côtes de la Manche. Il n’est pas rare même que le froid les pousse jusque dans l’intérieur des terres : c’est, ainsi que des familles de ces oiseaux voyageurs se rencontrent habituellement en hiver sur les lacs de la Suisse et que plusieurs individus isolés ont pu être capturés dans les lagunes de l’Artois, de la Picardie et