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LA NATURE.

ployée à la longue et difficile opération du déploiement des ailes inférieures.

La couleur est analogue dans toutes les espèces de Forficules, variant du brun de poix à un jaune terne et enfumé. Ces teintes sont celles de beaucoup d’insectes qui vivent dans l’obscurité, notamment des curieux Coléoptères et des Araignées qui passent toute leur existence sous terre et constituent les représentants entomologiques de ces êtres étranges dont le Créateur a peuplé l’horreur de la profonde nuit des cavernes.

Le corps est allongé et plus ou moins aplati ; une tête dégagée et un peu mobile, cordiforme, porte en avant des antennes filiformes, ayant de douze à quarante articles, et sur les côtés des yeux médiocres. Elle manque toujours de ces yeux simples ou stemmates, sorte de microscopes placés chez beaucoup d’insectes sur le dessus de la tête, et qui sont les seuls organes de la vision chez les Araignées et les Scorpions. Vient ensuite un corselet de forme rectangulaire et aplati, et, dans les espèces à organes du vol bien développés, les deux segments suivants du thorax portent deux paires d’ailes hétéronomes, c’est-à-dire d’une constitution différente. D’abord se voient des étuis ou élytres, beaucoup plus courtes que l’abdomen, coupées carrément en arrière, et réunies à structure droite au milieu, et non croisées l’une sur l’autre comme chez les Blattes, les Grillons, les Sauterelles. Elles ressemblent aux élytres des Coléoptères et particulièrement à celles de ces Staphylins qui semblent porter une veste, leur abdomen restant à découvert, comme celui des Perce-oreilles. Tout le monde connaît un des plus grands types de Staphylins, le Diable (Ocypus olens, Linn.), d’un noir terne, qui parcourt les sentiers des champs et relève d’un air menaçant son abdomen d’où sortent deux vésicules blanches ovales, répandant une odeur d’éther nitreux ou de pomme de reinette. Les ailes, dont l’existence est à peine soupçonnée par le vulgaire, sont d’une remarquable complication. Elles offrent au bord antérieur une lame cornée, plus ou moins ample, qui, après le repli complet de l’aile, devient un organe de protection et dépasse plus ou moins l’élytre sous forme d’une petite écaille colorée (ce qu’on voit bien au no 2 du dessin des Forficules). Le reste de l’aile, bien plus large que l’élytre, en forme de quart de cercle, est constitué par une membrane délicate et diaphane, irisée des couleurs de l’arc-en-ciel par le fait de la décomposition de la lumière par les lames minces. Une nervure en courbure douce, part de la base de l’aile et envoie dans son parcours des rameaux rayonnants vers le contour. Ils sont soutenus par une nervure circulaire qui sert à maintenir bien étendue cette aile si élégante. On peut facilement voir cette petite merveille en prenant le Perce-oreille commun de nos jardins, le maintenant empalé sur une épingle et soulevant une élytre avec la pointe d’une aiguille. En opérant doucement, on force l’aile à sortir sans déchirure de ses plis, et, si on laisse mourir et sécher l’animal en maintenant l’aile étendue par une bande de papier, on conservera indéfiniment l’aile étalée, comme elle se présente dans le Forficule au vol de notre gravure.

Le plissement de cette grande aile est très-curieux. Il s’opère d’abord vers le milieu du limbe corné antérieur en plis longitudinaux pareils à ceux d’un éventail. C’est le mode de plissement de l’aile de la grande Sauterelle verte des champs, et des ailes de ces petits Criquets qui sautillent en automne dans toutes les prairies ; puis un tout autre genre de plis intervient, pareil à celui de l’aile des Hannetons. L’éventail se brise deux fois et en dessous par des cassures transversales, de sorte que la jolie membrane irisée se cache entièrement sous l’élytre protectrice.

L’abdomen, bien visible quand les ailes sont au repos, est formé de segments successivement articulés comme dans la queue de l’écrevisse, et leur nombre peut tout de suite nous apprendre si le perce-oreille est un mâle ou une femelle, du moins dans les espèces européennes ; chez le premier on en compte, bien apparents, neuf en dessus, huit en dessous ; chez la femelle sept en dessus, six à la région ventrale. Le dernier segment du dos chez les mâles, est plus grand que les autres, plus fort et muni de tubercules, d’épines, bien moins marqués chez la femelle. C’est en effet lui qui renferme les muscles destinés à mouvoir la pince, qui, toujours plus grande et plus robuste chez le mâle que chez la femelle, en diffère par sa courbure et ses dents, de sorte que l’inspection de la pince fournit aussi des caractères sexuels, mais moins faciles à constater que ceux tirés du nombre des anneaux de l’abdomen.

Les pattes, attachées au-dessous du thorax et au nombre de six, comme chez tous les insectes adultes, sont courtes, à articles cylindroïdes, propres à la course seulement. Elles finissent par des tarses de trois articles ; on sait que le nombre des articles de l’extrémité terminale des pattes est un caractère important pour la classification des insectes broyeurs auxquels appartiennent les Forficules.

Ces Forficules font partie des insectes à métamorphoses imparfaites, c’est-à-dire qui, dès la sortie de l’œuf, ont la forme générale des adultes et le même genre de vie. Dans l’espèce la plus commune, le Perce-oreille de nos jardins (Forficula auricularia, Linn.), la larve, au sortir de l’œuf et après la première mue, n’a d’autres vestiges alaires qu’un léger bourrelet aux bords postérieurs des second et troisième segments du thorax ; après la seconde mue, la nymphe présente les élytres et les ailes, mais en raccourci, plus ou moins réunies au milieu et enveloppées d’une mince pellicule, comme d’un fourreau. Après le troisième changement de peau, les organes du vol sont bien développés et l’insecte est apte à reproduire son espèce. On reconnaît encore le jeune âge des Forficules à une taille plus petite, à la mollesse des téguments, à une pince plus grêle et plus faible, encore dépourvue des tubercules qu’elle offrira souvent à sa base