Page:La Muse Française, t. 2, éd. Marsan, 1909.djvu/89

Cette page n’a pas encore été corrigée

Car le ciel a voulu, pour mieux venger ses crimes,
Que ce cœur inconstant ne fût pas sans pitié.
Et qu’en leurs regrets de moitié,
30Il s’affligeât du sort de ses victimes.
Oui, ce malheureux sort est préférable au sien ;
Privé du seul bienfait qui console la terre.
Sans souvenir, sans ami, sans lien.
Parmi les cœurs aimans, étranger, solitaire,
35Même avant d’en jouir il est blasé sur tout,
Et pour lui l’espérance est déjà le dégoût.
Enfin, telle est sa triste destinée,
Que la mienne aujourd’hui me semble fortunée I
Sur ce rivage heureux, dans ces vallons charmans
40Où l’écho répéta ses parjures sermens.
Mon bonheur, il est vrai, n’a duré qu’une aurore.
Mais ces transports d’un jour, mais ces divins momens,
Dans ses constans désirs, mon cœur les rêve encore ;
Je le revois tel qu’à cet heureux jour
45Où, succombant à sa langueur brûlante.
De l’anneau qui devait enchaîner son amour.
Il vint parer ma main tremblante.
Il est là… Près de lui j’oublie un vain regret ;
Il m’aime encor, je crois à sa tendresse.
50De l’instant le plus doux je retrouve l’ivresse.
Et tout mon bonheur m’apparaît.
Ô consolant délire ! ô regrets pleins de charmes !
À tromper ma douleur vous êtes parvenus ;
De l’inconstant si vous étiez connus,
55 Il donnerait ses plaisirs pour mes larmes.

Mme Sophie GAY.