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L’INCONSTANT

ÉLÉGIE.[1]


Pauvre Mœris ! — Mais pour le plaindre autant,
Quel est, dis-moi, le destin qui l’accable ?
— Hélas ! de tous, c’est le plus déplorable ;
Le malheureux est inconstant.
5— Je devine : un seul jour l’objet de son caprice.
Tu veux, par la pitié, te venger de ses torts.
— Moi ? non, je lui pardonne et le plains sans efforts
Depuis que j’ai découvert son supplice.
Eh ! ne le vois-tu pas, dans son ennui mortel,
10Accablé de succès, de faveurs méprisées,
Changeant sans cesse et d’idole et d’autel,
Succomber sous le poids de ses chaînes brisées ?
Dans ses plaisirs reconnais son tourment.
A-t-il jamais senti ces délices de l’âme,
15Ce feu si doux qui survit à la flamme ?
Non, non, c’est dans le changement
Qu’il a placé son espoir et sa vie.
À des rêves nouveaux sa pensée asservie
Lui défend de jouir des douceurs du présent,
20Et le timide aveu qui comble son envie
Est pour lui de l’amour le plus fatal présent.
Pauvre Mœris ! d’une amante nouvelle
Sent-il frémir la douce main ?
Son cœur prévoit l’instant qui va l’éloigner d’elle ;
25Il la plaint de l’aimer, et, d’avance infidèle.
Du jour le plus heureux il craint le lendemain ;

  1. Reproduit dans les Annales Romantiques de 1826.