6^ LIVRAISON. — CRITIQUE LITTERAIRE. SlQ VOUS attend partout et ne se laisse vaincre qu’après une longue étude et d’opiniâtres labeurs. Quoi qu’il en soit, le poëme de Dante a cela de par- ticulier, que, seul de sa race^ sans ancêtres cojnme 125 sans postérité, il ne peut nuire à l’art mystérieux qu’il recommença : ses défauts sont à lui comme ses beautés ; et si bien peu d’hommes pourraient imiter parfois ce qu’il a de sublime, ce qu’il a de bizarre ne saurait tenter personne aujourd’hui. Quel poëte, en i3o effet, voulant nous montrer l’abîme, y amoncellerait maintenant des objets dégoûtans ou ridicules ? qui donnerait au grand archange tombé des formes pe- tites et baroques ? quel poëte dans un paradis pein- drait encore les saints élus scintillant en croix et en i35 aigle sur la face d’une planète, ou roulant leurs flots comme des fleuves ? et qui n’aimerait mieux marcher sur les traces de Milton , du Tasse et de Chateau- briand ? Il est difficile de traduire dans notre langue trop 140 dédaigneuse, dans notre poésie malheureusement née au milieu des étiquettes d’une cour et des souvenirs trompeurs de l’antiquité, la langue simple et vigou- reuse de Dante. M. Delamathe s’est borné à traduire la plus belle et la première partie de la Divina Com- 145 média, celle qui est destinée à nous révéler l’enfer. Malgré ses laborieux efforts et son mérite très réel, M. Delamathe ne me paraît pas avoir réussi à sur- monter souvent les innombrables difficultés de la tâche épineuse qu’il s’était imposée. Toujours fidèle i5o au sens, il l’est moins à la poésie : il ne se permet, il est vrai, ni coupures, ni développemens, ni équivalens même ; mais son vers est parfois décoloré, faible et lent ; et si on peut assurer que sa traduction, qu’amé-
Page:La Muse Française, t. 1, éd. Marsan, 1907.djvu/373
Cette page n’a pas encore été corrigée