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6^ LIVRAISON. — CRITIQUE LITTERAIRE. SlJ 55 Arrêtons-nous maintenant devant ses opinions reli- gieuses : Dante n’aurait pas voulu d’une âme esclave ; cependant, plus effrayé encore de faire entrer dans sa tête le vide du néant ou le chaos de l’incrédulité, il repoussa les avilissantes et molles erreurs ; il embrassa 60 la vérité, toute formidable qu’elle pût paraître, sentant bien qu’au fond de cette vérité il y avait, pour sa haute raison, beaucoup de beauté et de génie. Dante s’enfonça donc dans les profondeurs de la théologie, qu’il avait étudiée dès l’enfance : le besoin 65 de revêtir ses idées d’une poésie nouvelle, peut-être le besoin non moins pressant de satisfaire ses haines politiques, et surtout le désir d’éclairer les hommes touchant la vie future à laquelle les peuples croyaient et songeaient alors, lui firent concevoir son grand et 70 singulier ouvrage. Le monde entier se réfléchit dans cet œuvre sans nom. Le poëte s’y montre principa- lement lui-même, faible comme un homme, éprou- vant crainte et pitié, et, malgré sa faiblesse et les obs- tacles, s’élevant de cercle en cercle sur les ailes de la 75 science et de l’amour, du gouffre de l’enfer jusqu’à ces hauteurs du ciel où la vérité resplendit. Contraint de se faire soi-même sa langue prodi- gieuse, Dante puisait partout, dans le provençal, dans le grec peut-être, et surtout dans les inépuisables tré- 80 sors de Virgile. Après tant de siècles barbares, ce chantre sacré se leva dans sa force : il créa une voie à ses successeurs, et nul d’entre eux n’a jamais pu l’y dépasser. Dans ses tableaux terribles et sombres, il ne conserve de son âpreté habituelle qu’une sorte 85 d’accent énergique, en harmonie avec ses profondes pensées ; et dans les douces peintures sa muse répand en abondance la grâce, la mélodie, une mollesse