vraie et bien saisie de ce contraste bizarre, trait
distinctif des sociétés parvenues à un certain degré
de civilisation. Ils sont tous plus ou moins remarquables
par la réunion si rare de l’art d’intéresser
et d’émouvoir, et d’un grand talent d’observation.
Tandis qu’aujourd’hui la plupart de nos auteurs comiques
mettent des scènes romanesques de mauvais
goût dans leurs comédies, madame Gay, mieux inspirée,
mêle d’excellentes scènes de comédie à ses romans ;
c’est ce qu’on pourrait presque appeler de la
munificence. Tour à tour et presque à chaque page
l’auteur d’Anatole excite un malin sourire par une
réflexion piquante ; ou bien, par un mot délicat,
éveille un souvenir du cœur. Son style spirituel et
facile rappelle souvent la manière gracieuse de madame
Riccoboni. Si l’idée première qui sert de base à
chacun de ses charmans ouvrages, manque quelquefois
de force et de profondeur, on ne saurait lui reprocher
du moins de manquer de justesse et de but
moral. Ses personnages sont pleins de vie et d’originalité,
et parfois l’on est tenté de leur rendre leurs
véritables noms comme à d’anciennes connaissances
qu’on a long-temps perdues de vue et qu’on est tout
surpris de retrouver ; enfin, dans toutes ses compositions
et principalement dans Anatole, madame Gay
a su jeter au milieu des scènes variées du grand
monde, peintes avec une rare fidélité, des situations
neuves d’où ressort l’intérêt le plus vif et le mieux
soutenu. Je me garderai bien de faire ici l’analyse de
ses trois romans, dont la seconde édition sera bientôt
épuisée ; outre que l’espace me manque, ce genre
d’ouvrage ne me semble guère susceptible d’analyse.
Il faut une main trop habile pour soulever le voile
Page:La Muse Française, t. 1, éd. Marsan, 1907.djvu/147
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