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arrive de temps en temps de sacrifier aux passions turbulentes du siècle, on est bien tenté de le gronder un peu, mais on ne se sent pas la force de lui en vouloir. Il est si doux de vivre en repos ! Comment d’ailleurs garder rancune au poëte qui a dit :

Les partis veulent de la haine,
Et moi je ne sais pas haïr.

De la poésie au roman, même à cette espèce de roman consacré à peindre les mœurs des salons, la distance n’est peut-être pas si grande qu’on se l’imagine. Le monde a aussi son côté poétique : ses fêtes brillantes et mensongères, sa gaieté étincelante qui ressemble à la joie, sa politesse exquise qui cache toutes les haines, sont autant de séductions puissantes auxquelles bien peu d’hommes savent résister, et il n’est pas un de nous qui, plus tard, n’aime encore à se rappeler le temps de cette première ivresse si douce et si passagère. Mais quand l’âge des jeunes illusions est déjà loin, que de fois, au milieu de ce tourbillon de plaisirs bruyans et tout en dehors, ne découvre-t-on pas des sentimens profonds et de vives douleurs, sans compter celles que l’on y porte soi-même ! c’est alors que les éclats de rire et les joyeux propos n’empêchent plus les soupirs secrets d’arriver jusqu’à nous. A travers la vie factice on voit la vie réelle, et l’on assiste en quelque sorte au spectacle singulier de deux existences humaines : l’une ouverte à tous les regards et embellie de mille jouissances ; l’autre solitaire, mystérieuse et infortunée.

Les romans de madame S. Gay[1] offrent une image

  1. Sept vol. in-12, ornés de gravures par Horace Vernet et Isabey. Chez Ambroise Tardieu, rue du Battoir, n° 12 (M. F.).