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homme de talent ; quoique le siècle se vante d’être riche, on n’a pas encore ce bonheur-là tous les jours. J’aborde donc franchement la critique, heureux de pouvoir, en toute sûreté de conscience, y mêler de justes éloges.

Le coloris de M. Saintine m’a semblé quelquefois un peu terne ; ce jeune poëte néglige trop souvent de rajeunir et de raviver, par une tournure nouvelle ou une expression pittoresque, les pensées communes 65 qu’il rencontre en son chemin ; s’il reste habituellement fidèle aux principales règles du goût et de la langue, il ne sait pas toujours éviter le froid prosaïsme et de fâcheuses infractions au génie poétique, fautes, selon moi, bien moins pardonnables que le néologisme et que toutes les amphibologies possibles. Car, dussé-je soulever contre moi le peuple entier des grammairiens, je pense que le poëte doit se montrer poëte jusque dans ses écarts. C’est surtout lorsqu’il traite les genres élevés, tels que l’ode ou le poëme, que M. Saintine laisse fréquemment à désirer plus de charme et d’inspiration ; il n’entre jamais assez profondément dans son sujet, n’enlève pas son lecteur jusqu’au monde idéal, et ne lui révèle point, par des traits hardis et inattendus, ce qu’il y a d’intime au fond du cœur de l’homme. On sent enfin que la méditation n’est pas pour lui ce qu’elle doit être pour tout écrivain qui veut laisser trace de son passage, la première de toutes les muses. Si je n’avais peur d’avoir trop raison, ce qui devient quelquefois un tort, le poëme intitulé l’Inconnue ou les Fêtes de Délos, qui ouvre le recueil, me fournirait à lui seul plus de citations qu’il ne m’en faut pour justifier la vérité de mes reproches. Les souvenirs de l’ancienne