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Réduit à renfermer dans un cadre si étroit les pensées qui naissent en foule de sujets si variés, je commencerai par la poésie. Que l’auteur d’Anatole me pardonne cette préférence ; la poésie est femme aussi, et déesse. Qui sait d’ailleurs si nous n’avons pas quelque intérêt secret à nous ménager dans ses bonnes grâces ?

J’ai souvent entendu dire qu’en ce monde il y a deux hautes puissances avec lesquelles tout homme sensé qui se mêle d’écrire doit éviter très soigneusement de se brouiller, parce que cela porte infailliblement malheur ; et comme je suis assez amoureux de mon repos et d’une longue vie, je n’ai eu garde d’oublier que ces deux autorités si respectables sont l’Académie et la Faculté. Or, le recueil de M. Saintine[1] se compose en grande partie de morceaux couronnés par notre sénat littéraire. On sent tout ce que cette circonstance offre de délicat et d’épineux ; aussi j’ai cru d’abord que, malgré ma grande circonspection habituelle, j’étais tombé dans le lacs, et déjà je me demandais s’il ne valait pas mieux faire, prudem- 45 ment, un acte de déférence et de courtoisie mensongère que d’attirer sur ma tête les foudres académiques. Heureusement qu’une lecture attentive des poésies de M. Saintine m’a rendu à peu près ma tranquillité ; mais, en vérité, il n’est guère possible 5o d’avoir été plus voisin du danger, et je frémis en songeant que la fantaisie de nous donner leurs œuvres peut venir un matin à chacun des messieurs que l’Académie a daigné couronner depuis quelques années. Dieu sait ce que l’avenir nous garde. Cette 55 fois-ci, du moins, je me félicite d’avoir affaire à un

  1. Un vol. in-12 ; chez Ladvocat, lib., au Palais-Royal (M. F.).