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contre, notre bon ange nous effraie souvent par des avertissements trop brusques ou trop rudes.

Les premiers jours de navigation furent, pour les trois amis, un enchantement continuel ; tout marchait à souhait. Mais un matin, comme on traversait une belle vallée, de petites taquineries annoncèrent que Kühleborn régnait en maître dans ces parages : les vagues secouaient le navire, le vent contrariait les voiles. Ondine n’avait qu’un mot à dire et tout s’apaisait, mais pour recommencer un peu plus tard. Les esprits commencèrent à s’aigrir, les humeurs à s’altérer. Les bateliers, méfiants et craintifs, causaient à voix basse en regardant d’un air hostile leurs passagers. Les serviteurs, sentant vaguement une influence mystérieuse, murmuraient. Le chevalier méditait parfois avec dépit : « Voilà les ennuis que l’on a quand on ne s’unit pas à quelqu’un de sa race. Un homme ne doit pas s’allier à une fille des eaux. Il faut que je supporte sans cesse les caprices de cette extravagante parenté. »

Peu à peu, il ne parvint plus à dissimuler son irritation ; il se détournait d’Ondine ou la regardait avec une froideur malveillante dont la pauvre femme ne devinait que trop la raison. Un soir, fatiguée par la lutte qu’elle avait soutenue tout le jour contre son oncle et par le chagrin que lui causait l’humeur sombre de son époux, elle ferma les yeux et s’endormit. À l’instant même, chacun des passagers et des rameurs aperçut devant lui une monstrueuse tête d’homme qui se dressait, toute droite, à côté du navire,