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C’est ici qu’il saut s’arracher au plaisir, puisque les regrets l’accompagnent. N’attendez pas les plaintes & les pleurs d’une belle, qui touche au moment de vous perdre ; arrachez-vous encore une fois, & n’excitez point des désirs, que la nature & l’amour ne peuvent plus vous donner ; les plaisirs forcés par l’artifice ne sont plus des plaisirs ; songez que vous reverrez un jour votre amante, ou que l’amour, dont l’empire ne finit qu’avec l’univers, sensible à de nouveaux besoins, vous enflammera pour d’autres bergères, qui seront peut-être encore plus aimables. En amour comme à table, il vaut mieux garder des désirs que d’en emprunter. Imitez le convive sensuel, il goûte de tous les mets, il en prend peu : il se ménage de manière qu’il aime mieux désirer quelque chose qui n’ait pas été servi, que de ne pouvoir pas profiter de tout ce qu’on servira, tandis que le gourmand gonflé, hors d’haleine dès le premier service, n’a plus de désirs du moins qu’il puisse satisfaire, semblable au Cygne de la fontaine.

Consentons plutôt à nous priver pour quelque temps de la volupté, que d’être forcés d’y renoncer, peut-être toujours en nous y engloutissant. Amants qui êtes sur le point de quitter vos belles, que vos adieux soient tendres, passionnés, pleins de ces nouveaux charmes que la tristesse y ajoute ;