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toujours guidé par la probité, de le prévoir & de le prévenir de quelque manière que ce soit. Toutes les passions s’éclipsent par la passion d’aimer, elle leur commande en reine. Pour elle, l’ambitieux supplante son plus cher concurrent, l’avare ouvre ses trésors & devient prodigue : par elle la laideur reçoit les honneurs de la beauté : par elle les droits de l’amitié sont anéantis ; le libertin & le débauché ont du plaisir à l’être : enfin l’amour est cause de tout l’ordre & de tout le désordre qui règne dans l’univers. Le marchand croit ne suivre que l’intérêt, & le guerrier jure qu’il n’est animé que par la gloire ; vaine illusion ! tout ce que l’un a eu tant de peine à gagner, sera donné pour une des nuits de la belle Didon ; il croit s’enrichir, en se ruinant, parce qu’il comble ce qu’il aime de ses bienfaits : toutes les conquêtes de l’autre ne valent pas celle d’un cœur, tel que celui de Mélite, dont tous les replis, quoique prodigieusement étendus, peuvent à peine suffire aux sentimens & aux transports d’une véritable passion. Les plus grands rois du monde n’aiment à cueillir des lauriers, que pour en faire des couronnes à l’amour.

Mais que vois-je ? l’affliction est peinte sur le visage du plus tendre amant… C’est un jeune guerrier que l’honneur & le devoir obligent de devancer son prince en campagne. Il part demain : plus de délai ; il n’a qu’une nuit à passer avec ce