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sens, rétabli de nos jours dans sa dignité naturelle, imprima véritablement dans l’âme des sensations tout-à-fait particulières, infiniment profondes, plus vives, plus exquises, que toutes celles qui nous viennent par les autres organes. Jugez du despotisme qu’il exerce ; il interdit l’usage de la parole, de la vue & de la pensée même, qu’il change en sentiment : il anéantit l’âme avec tous les sens, dont elle est le principe ou la fin ; il suspend toutes les fonctions de notre économie, & tient, pour ainsi dire, les rênes de l’homme entier, au gré de ces joies souveraines & respectables, de ce fécond silence de la nature, qu’aucun mortel ne devroit jamais troubler, sans être écrasé par la foudre. Mais quelle bisarre contradiction a fait appeler noble & honteux le plus merveilleux de nos organes, celui à qui nous devons notre existence & notre bonheur ; un sens enfin, dont telle est la puissance immortelle, que la raison, cette vaine & fière déesse, rangée sous son empire au niveau de ses égaux, n’est enfin, comme les autres sens, que l’heureuse esclave de ses plaisirs.


Vous voyez que les sens ne sont que les organes de nos passions & de nos désirs, qu’ils les servent, les entretiennent, les excitent, pour qu’elles nous servent à leur tour. Que dis-je ! les passions même, ces élémens aussi nécessaires à l’homme que l’air