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harmonieux accord de deux plaisirs, que l’industrieuse volupté met, au gré de nos désirs, à l’unisson dans une même personne, seroit détruit avec tous ses charmes. Sans le goût, cette autre sorte de tact plus nu, plus intime, sans la même facile communion des nerfs du palais, mollement chatouillés, nos langues inutilement voluptueuses, frétilleroient sans lasciveté dans toutes les parties dénuées de la peau. Enfin, nos âmes qui brûlent de changer de corps, pour avoir le plaisir de parcourir, de rendre heureux un objet adoré, insensibles, immobiles dans leur premier berceau, n’auroient pas même la liberté d’errer dans une bouche fraîche & ornée par le plus bel émail. Vainement l’amour auroit inventé cet art dont il a été parlé, de la philtrer en quelque sorte, & la nature, cette espèce de transfusion déiicieuse, si foiblement exprimée par le systême de Platon. Que deviendroient alors tant de ressources imprévues, & tous ces miracles de l’amour désespéré ? Plus de baisers lascifs, plus d’espoir d’être heureux, la plus efficace des voluptés seroit perdue, & enfin, ce que nous avons d’âme, n’en trouvant point d’autre à qui se réunir, ne nous feroit point goûter le le sort des dieux.

C’est ainsi que les cinq sens semblent travailler pour un sixième, trop peu célébré, dont la nature a paru uniquement occupée, en nous formant. Ce