Page:La Mettrie - Œuvres philosophiques, éd. de Berlin, Tome troisième, 1796.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

charmes se dérobent à ma vue… Rassurons-nous : l’amour, qui a fait les coquettes, les cache de manière qu’elles seroient bien fâchées de ne pas être apperçues.

À ces jeux d’enfans, que Virgile a si bien peints, qui peut méconnoître l’amour ? Il se cache lui-même dans mille réduits ; il veut qu’on l’y poursuive ; il ne demande pas plus de grâce que la plus simple bergère ; il s’est fait une dernière retraite : il a voulu fixer les bornes de son empire, avec le siège de la volupté : c’est-là qu’il aime à s’arrêter comme une tendre fauvette sur ses petits, & il ne s’y arrête, que pour avoir le plaisir de s’y laisser prendre. Ce seul plaisir fait toute san ambition : pour en jouir, il enflamme tous les cœurs, il éclaire tous les esprits, il a créé tous les sens, pour en satisfaire un seul.

Entrons dans quelque détail. Le plus beau spectacle du monde, c’est une belle femme, un beau visage : à quoi serviroit mon imagination, sans mes yeux ? les aveugles de naissance n’imaginent rien. Les yeux seuls pouvoient faire passer l’image de la beauté dans mon âme, & l’empreinte en reste vivement gravée dans mon cœur.

L’esprit, tous les charmes de la conversation, qui ne sont pas sans volupté, la douceur de la voix, qui marque assez communément celle du caractère, la musique, le goût du chant, sans