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dis-je ? la douleur est le plus grand des maux : la plupart des philosophes lui ont donné le droit d’abréger nos tourmens : mais qui a du plaisir à sentir, est, selon moi, digne de vivre, & doit aimer la vie. Quoiqu’on en dise, quoique chantent nos poètes ; quand on a su profiter de tous les heureux momens, cueillir toutes les fleurs semées sur le fonds de la vie, c’étoit la peine de naître, de vivre & de mourir. La mort, dit Lucrèce, ne nous regarde en rien : je sais qu’elle n’est rien en soi, & que la douleur est tout : mais la mort nous prive de tous les sentimens que je chéris, son idée m’est affreuse. Loin d’ici trop affligeante image ! je ne puis vous regarder fixement. Non, je ne me résoudrai jamais à cesser de sentir, je cesse même d’être en quelque sorte, toutes les fois que je pense que je ne serai plus. Mourons cependant, puisqu’il le saut, mais que ce soit après avoir vécu.

Le plaisir est donc le plus bel apanage de l’homme. Qui s’y refuse, viole les premières loix de son origine, & l’intention du créateur. Ceux qui ne s’aiment pas eux-mêmes, comment aimeroient-ils les autres ? Mais quelle erreur de s’imaginer qu’on ait de mauvaises mœurs, parce qu’on aime la volupté ! la vraie sagesse est-elle donc de fuir le bonheur, & de rechercher tout ce qui déplaît à l’imagination & ne peut conduire qu’au désagrément