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Nous devons le bien d’être au seul plaisir ; c’est lui qui a tissu la chaîne qui lie les hommes & les animaux : il me parle par mes organes, & m’attache à la vie. Philosophes indignes d’un si beau nom, vous voulez en vain me faire regarder la mort, comme un bien ; non, vous ne connoissez point le prix de la vie, c’est le plus grand de tous les biens ; sans elle, après quel bonheur imaginaire courez-vous ? Qui hait le jour qu’il respire, & craint la mort est doublement hypochondriaque.

Le voluptueux aime la vie, parce qu’il a le corps sain, & l’esprit libre ; amant de la nature, il en adore les beautés, parce qu’il les connoît mieux qu’un autre ; ses yeux se serment à la lumière sans frayeurs mais non sans regrets ; il se plaint du destin cruel qui l’arrache à un spectacle, dont il ne peut se rassasier. Malheureusement chaque spectateur, y est aussi inutile, que renouvellé sans-cesse. Amoureux, sensible à tout, inaccessible au dégoût, il ne comprend pas comment ce poison vient infecter les cœurs, ni par quel fatal désordre, le roi des êtres animés, celui qui par son excellence se trouve en état de jouir de tous les autres, peut s’ennuyer sur la terre : entouré de voluptés, admirateur des phénomènes, qui frappent le plus ses lens, rien ne le trouble ; son âme est toujours dans la même assiette, soit que Jupiter s’arme de la foudre, soit qu’Éole respectant le