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Mais à son tour Céphise est contente, elle a pour amant un grand maître dans l’art des voluptés : sans lui, le monde entier est un désert pour elle ; avec lui elle possède l’univers. Amour est le plus pauvre des dieux ; pour toutes richesses, il ne m’a donné qu’un cœur, & à Céphise que des fleurs pour l’enchaîner. Mais je dois le dire ici, que ce cœur est différent de tous les autres ! Complaisant, tendre, amoureux, respectant toujours les volontés de mon amante, n’en ayant point d’autres, & osant à peine murmurer de ses plus injustes rigueurs, pendant combien d’années je me suis contenté, à l’exemple de Montagne, que dis-je, je me suis trouvé trop heureux des simples baisers & attouchemens qu’on vouloit bien m’accorder ! Un cœur que je n’aurois pas cru digne, ni d’elle ni de moi, si je lui avois connu un défaut, un cœur, enfin d’autant plus parfait, d’autant plus intéressant à ses yeux, qu’il est plus malheureux.

Si rien ne doit jamais dégoûter un amant de l’objet qu’il aime, si rien ne doit suspendre un service, dont l’amour permet la célébration, rien aussi ne doit rendre infracteur de la foi qu’on a jurée à sa maîtresse. Belles, vous jugerez vos amans par leur générosité, c’est la balance des cœurs. Veulent-ils forcer vos goûts, violer votre prudence, & sans égard pour de trop justes frayeurs, vous exposer aux suites fâcheuses d’une passion