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qui arrachent trop vite de l’âme l’impression d’une belle tragédie ; laisse-moi, ajoutoit-elle, laisse-moi goûter en paix & sans mélange un bien-être aussi grand & aussi parfait ; le plaisir corromproit mon bonheur.

Je regarderois Céphise, avec le même attendrissement qu’elle m’avoit communiqué. Tant d’amour avoir fait couler quelques larmes de ses yeux, qui en étoient plus beaux. Son cœur ne suffisant point à une aussi douce mélancolie d’amour, n’avoit pu contenir le torrent de tendresse ineffable dont il étoit inondé. Mais enfin, les sens se réveillant peu-à-peu, & ne voulant plus rien perdre de leurs droits, j’obtins à l’ombre de ce mystère, ce que depuis long-temps ne m’avoit pas tout-à-sait accordé une passion trop prudente. Alors, nos ébats devenus plus lascifs, sans en paroître moins tendres ; non, reprit Céphise, tu ne connois point encore mes transports, je voudrois que toute mon âme passât dans la tienne.

J’avois déjà quatre sois sacrifié au tendre amour. Céphise toute en feu, croyoit toucher à chaque instant l’heureux terme de ses plaisirs : mais soit que l’amour fût encore concentré au fond de son cœur, soit que son tempérament trop irrité ne répondît pas à l’ardeur de ses desirs, & qu’un seul mouvement ingrat, renvoyant le plaisir de plus loin qu’il n’étoit venu, lui fit perdre le fruit d’une