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exquises senlations d’amour, de ces goûts si vifs & si intimes, que la volupté même semble distiller, pour ainsi-dire, goutte à goutte, au fond de nos âmes. Alors en effet, elles sont réellement enivrées, & comme remplies de la perfection de leur état, qu’elles se suffisent à elles-mêmes, & ne désirent rien. Pourquoi ne puis-je peindre ici un état délicieux que je sens si bien ? Ou pourquoi sens-je si bien ce que je ne puis exprimer ? Si les cœurs qui sont pénétrés de cette divine façon de sentir, sont parsaitement heureux, que je plains ceux à qui des organes peu délicats ne permettent pas de connoître cette espèce de métaphysique de la tendresse, & de nos sentimens les plus déliés ! Oui, j’en jure par l’amour même, j’ai vu des momens, dieux, quels momens ! ou ma Céphise, éperdument livrée à la plus douce sympathie des cœurs, aux délices de la situation la plus ravissante, méprisoit dans mes bras des saveurs qu’elle prétendoit que l’amour, en pareil cas, eut dédaignées lui-même.

Toute âme, pour ainsi parler, du moins plus ame que corps : dieux, quelle exilsence, disoit-elle ! Quelle plus douce façon de sentir ! Non, je n’avois point encore connu l’amour… Rejetant ensuite tous autres sentimens plus vifs, sans doute parce qu’ayant moins de douceurs, ils nous violentent en quelque sorte par l’excès même de leur vivacité, à-peu-près comme ces pièces comiques,