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dans le sein de la rage & du désespoir. Contentez-vous d’en prendre, & d’en donner chaque jour ; mais puisque vous n’avez ni finesse, ni délicatesse dans votre façon de sentir, le moyen de connoître la volupté, ce plaisir qui s’augmente par la réflexion, semblable en quelque sorte à ces rayons de lumière, qui tombent sur la surface des corps solides ! Ne vous suffit-il donc pas, petit-fils d’AIcide, d’avoir dans le sang tous les feux de Cythère & de Lampsaque, & de ne pouvoir dépenser beaucoup, sans passer pour dissipateur, tandis que tant d’honnêtes gens, économes forcés d’une foible santé, ruinés par l’étude & le plaisir, privés de leurs premiers ressorts, sont réduits à suppléer à tout par l’art & le génie. Que ne voudrois-je point imaginer, belle Céphise, pour vous dédommager de mon peu de vigueur ? Avec quelle adresse, quelle industrie, quelle vivacité, je voudrois me replier sur mon plaisir, pour vous en donner ? Quel charmant badinage assaisonne la volupté, que le desir soutient ! L’avant-goût du plaisir ne vaut-il donc pas le dégoût qu’il traîne le plus souvent à sa suite ? Enfin la tendresse ne seroit-elle point comparable aux plaisirs des sens ? Mais que dis-je ! comme il est des physionomies, qui sans être belles, sont préférées à la beauté même, il est, à mon avis, des plaisirs de l’âme fort au-dessus des plaisirs du corps ; je parle de ces tendresses infiniment pures, de ces