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à ce qui leur manque. C’est elle qui met le prix à tout ; elle échauffe le cœur, elle l’aide à former des désirs, elle lui inspire les moyens de les satisfaire. En examinant le plaisir, qu’elle passe, pour ainsi dire, en revue, le microscope dont elle semble se servir, le grossit & l’exagère : c’est ainsi que la volupté même, cet art de jouir, n’est que l’art de se tromper, comme faisoit cette femme dont parle Montagne, qui regardoit son amant avec une loupe, pour grossir son point de vue. Ah ! si je me trompe, en augmentant le plaisir de mes sensations & mon bonheur, puissé-je me tromper toujours ainsi !

Mais puisque la volupté & tous les sentimens de tendresse, que l’amour inspire, résident moins dans les puissances du corps, que dans celles du cœur, le plaisir ne sauroit fuir l’homme le plus blazé, pourvu que son imagination ne le soit pas ; les mouvemens lascifs ont beau abandonner certaines parties, s’ils remontent à la tête & s’y conservent, ce dépôt précieux élève l’âme sur les débris du corps. Autereau a fait dans un âge fort avancé des ouvrages tendres & voluptueux. Jamais peut-être le cœur ne fut plus intéressé que dans sa magie de l’amour qu’il composa à 75 ans, dans le sein de la misère.

Pour avoir renoncé à l’amour, on n’en est souvent que plus digne de peindre ses voluptés ; peut-être les