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qu’aux moindres discours que tu soupirois la première fois que la conquête de ton cœur fut la récompense du mien, & ce combat enchanteur de la vertu, de l’estime & de l’amour ! Comme à des mouvemens ingrats il en succéda peu-à-peu de plus doux, qui ne t’inquiétoient pas moins ! Je vois tes paupières mourantes prêtes à fermer des yeux adoucis & arrosés des premières larmes d’amour ; le rideau du plaisir fut bientôt tiré devant eux ; la force t’abandonnoit avec la raison, tu ne savois ce que tu allois devenir ; tu craignois… (hélas ! que cette simplicité ajoutoit à tes charmes & à mon amour) ! tu craignois de tomber en foiblesse & de mourir, au moment même que tu allois sentir le bien d’être & le plus grand des plaisirs. De quelle volupté encore ta tendresse fût suivie ! un doux silence succède aux plus violens transports. Dieux ! respectez l’égarement d’une aimable mortelle, qui s’oublie dans les bras qu’elle adore : elle est égale à vous en ces momens !

Pourquoi sait-il, amour ! que le don de sentir n’ait pas été accordé à toutes les femmes avec celui de plaire ? Le bonheur d’aimer, de jouir de ce qu’on aime, ne devroit-il pas toujours faire goûter le grand plaisir, à qui a le pouvoir de le procurer ? Peut-être ce bonheur est-il si grand, lorsque tout est réciproque, qu’un cœur trop sensible pourroit à peine y suffire, s’il n’étoit quelquefois diminué