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par l’amour, à force de sentir on ne sent rien, du moins on ne distingue aucune sensation, on est ravi, transporté, & ces transports sont les seuls éloges dignes de la beauté.

Mais quelque vifs que soient ces plaisirs, qui remplissent parfaitement notre âme, ce ne sont jamais que des plaisirs ; l’état seul qui leur succède est la vraie volupté. L’âme alors, moins enivrée, est à elle-même précisément autant qu’il faut pour contempler toute la douceur de son état & jouir de sa situation. Plus on a parfaitement servi l’amour, plus on goûte le prix de ses services ; tel est le bonheur de l’âme en ces momens délicieux, qu’elle ne désire rien, si ce n’est de les faire durer longtemps.

Ne m’approchez pas, mortels fâcheux & turbulens, laissez-moi goûter à longs traits les saveurs de Céphise. Je suis anéanti, j’ai à peine la force d’ouvrir les yeux fermés par l’amour : mais que cette langueur a de délices ! Je vois encore Céphise ; elle est entre mes bras, mes mains aiment à s’égarer ; par-tout où l’amour les conduit, il n’y a pas dans tout son beau corps une seule partie que je ne couvre de mes baisers. Ah dieux ! que d’attraits & que d’hommages réels mérite l’illusion même ! Que ne puis-je toujours ainsi vous voir, bergère ? Votre idée me suivant par-tout, me tiendroit lieu de vous-même : l’idée de la beauté vaut