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vivez heureux : en perdant votre ignorance, vous perdriez tous vos plaisirs.

Quels phiiirs, grands dieux ! que ceux de l’amour ! quels charmes plus séducteurs, plus ravissans ! Peut-on appeler plaisir tout ce qui n’est point l’amour ? On goûte encore les bienfaits, même après qu’on les a reçus. Heureux ceux que la nature a doués d’organes vigoureux ! pour eux tous les jours se lèvent sereins & voluptueux, pour eux la jouissance est un vrai besoin sans cesse renaissant, & le besoin est le père du plaisir. Mais plus heureux encore ceux dont l’imagination vive & lubrique tient toujours les sens dans l’avant-goût du plaisir ! Examinez leurs yeux, & jugez, si vous pouvez, s’ils vont au plaisir, ou s’ils en viennent. Non-seulement des amans ainsi organisés, sentiront de plus grands transports ; mais jouissant encore long-temps après la jouissance, les restes de leur plaisir leur seront chers & précieux : voyez comme ils les ménagent, les chérissent, les prolongent ; leur état est si charmant, qu’ils planent, pour ainsi dire, sur ses délices, comme seroit la volupté même : ils voudroient ne les perdre jamais.

Dans le souverain plaisir, dans ces momens divins, où l’âme semble nous quitter, pour passer dans l’objet adoré, où les deux amans ne forment plus qu’un même cœur, qu’un même esprit animé