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per, & peut-être sans le savoir, aida-t-elle ce dieu même à donner à ce parfait amant, autant de confiance, que son dangereux respect lui en avoit inspirée à elle-même. Mais se rendre digne des saveurs de Sylvie, étoit pour Damon d’un plus grand prix, que de les obtenir. Aimer, être aimé, c’étoit pour son cœur délicat, la première jouissance, jouissance sans laquelle toutes les autres n’étoient rien. La vérité des sentimens étoit l’âme de leur tendresse, & la tendresse l’âme de leur plaisirs ; ils ne connoissoient d’autres excès, que celui de plaire & d’aimer.

Pleure, (eh ! qu’importe que l’on pleure, pourvu qu’on soit heureux ?) pleure, infortuné berger ; un cœur amoureux trouve des charmes à s’attendrir ; il chérit sa tristesse ; les joies les plus bruyantes n’ont pas les douceurs d’une tendre mélancolie. Pourquoi ne pas s’y livrer, puisque c’est un plaisir, & le seul plaisir, qu’un cœur triste puisse goûter dans la solitude qu’il recherche ? Un jour viendra, que trop consolé, tu regretteras de ne plus sentir ce que tu as perdu. Trop heureux de conserver ton chagrin & tes regrets, si tu les perds, tu existeras, comme si tu n’avois jamais aimé. Puisque tu te crois inconsolable, goûtes toutes les douceurs de cette illusion ; tâches même, s’il t’est possible, de la méconnoître, pour être encore mieux trompé. Pourquoi faut-il que nous ayions